Rousseau : Thèses du Contrat Social [1/3]

Rousseau est sans conteste l'auteur d'une oeuvre au centre de laquelle on trouve la révolte. Cette révolte concerne tout à la fois le locuteur et son destinataire. C’est dans la rencontre entre ces deux sujets (l’auteur et son homme) que réside la puissance de l’idée rousseauiste. Nous verrons comment le « moi », indigné, dans le langage contemporain, s’adressant au sujet passif sème une forme de doute méthodique et forme un esprit critique.



I) L'homme "partout dans les fers"



Que Rousseau fut dans sa pensée, la plus intimement liée à son œuvre, un détracteur de l’esclavage, il n’y a pas lieu d’en douter. En A8 du Contrat Social (que j'abrègerai désormais par C.S.), il formule l’idéal d’égalité formelle et juridique lui tenant à cœur. « J'aurais cherché un pays où le droit de législation fût commun à tous les citoyens ». La participation de chaque individu à la vie politique (en tant que citoyen et sujet de droit) est la grande ambition du projet rousseauiste. L’égalité dans sa pensée s’annonce d’abord comme égalité de droit, égalité formelle s’il en est, mais dont Rousseau part en quête d’incarnation hic et nunc et à défaut de la trouver parmi ses contemporains, s’apprête à le formaliser sous l’aspect d’une nouvelle organisation du pouvoir. « La première source du mal est l’inégalité », observe-t-il. Il s’agit d’examiner l’origine de l’inégalité pour comprendre, celle du mal qui fait obstacle à la liberté des hommes. Les obstacles qui, aliénant cette liberté, s’opposent à la vie du genre humain ne sont pas d’ordre naturel, car la nature est domptée par la culture, ce sont les effets de l’état de guerre généralisé. Ils pèsent comme une menace potentielle et permanente sur la vie de chacun. C’est un état constant et universel existant dans les rapports entre les hommes. Il n’est pas « naturel » qu’un homme, individu dépositaire de la vertu (j'approfondirai plus bas cet aspect du problème) reporte sa destinée en aliénant son droit le plus fondamental.


II) L'homme est libre par nature




« Quelques philosophes ont même avancé qu'il y a plus de différence de tel homme à tel homme que de tel homme à telle bête ». C’est la liberté, « qualifiée d’agent libre » qui rend compte de la spécificité de l’homme « il se reconnaît libre d'acquiescer, ou de résister ». Il réside dans l’individu une détermination originale qui le force à se perfectionner. Les forces sont les capacités dont dispose l’homme à l’état de nature pour contrer ces obstacles. Il possède les forces et les biens autant physiques, que moraux et intellectuels. Le voilà porté au progrès de son espèce. Le philosophe prône un égoïsme raisonné de l’individu faisant son « bien avec le moindre mal d'autrui qu'il est possible ». La nature joue un rôle ambivalent dans ce schéma, mais dont les deux facettes ont un rapport entre eux : il semble opportun de postuler en premier lieu une symbiose entre la nature biologique et la nature de l’homme, composée d’une forme de culture à un stade rudimentaire.b


III) Ostacle de la société aux mœurs singulières




« S'ils tentent de secouer le joug, ils s'éloignent d'autant plus de la liberté que prenant pour elle une licence effrénée qui lui est opposée, leurs révolutions les livrent presque toujours à des séducteurs qui ne font qu'aggraver leurs chaînes » (C.S., A6). La sortie de la servitude ne se fait pas spontanément, après l’habitude prise à être esclave. Il faut encore éduquer les peuples à la liberté, dans un véritable apprentissage de celle-ci. Néanmoins, si « la nature, nous dit-on, n'est que l'habitude » (Emile) encore faut-il que cette éducation se fasse fans le respect des principes de la nature. « Gouverner avec la plus grande sagesse, afin que s'accoutumant peu à peu à respirer l'air salutaire de la liberté ». La tache est longue et ardue, par conséquent semée d’embuches. Pour être efficients, les grands changements doivent passer par des stades intermédiaires et respecter un continuum qui ne ferait passer d’une condition à l’autre ces hommes de manière trop brutale avec leur habitude.


Rousseau prend les hommes tels qu’ils sont, dans les sociétés données. Il ne saurait y avoir de solution hors des données intérieures au problème (le rapport des forces aux obstacles). Les hommes doivent changer de manière d’être, disposer autrement des forces qu’ils possèdent, et s’unir en une force suffisamment grande pour l’emporter sur la servitude, c’est de ce rapport de force que naît la résistance subjective aussi bien que collective qui lui est subordonnée. « Changer la manière d’être » des individus, c’est poser le problème du contrat en fonction de la nature des individus, en tenant compte de la singularité propre à chacun.


Au deuxième paragraphe du chapitre VI : « Or, comme les hommes ne peuvent engendrer de nouvelles forces, mais seulement unir et diriger celles qui existent… », il apparaît une contradiction entre changer le sujet et mobiliser les forces qui en lui existent déjà. Celle-ci ne peut-être résolue que si le sujet se découvre dans l’évidence de la subjectivité à elle-même, mais alors elle doit veiller à ce que le telos de la société qui est la vertu ne contredise pas les aspirations romantiques individuelles.

Pikbilis_
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le 22 mars 2024

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