Toujours dans la poursuite de l’exploration de la Première Guerre mondiale et de ses traumatismes, Johnny s’en va-t-en guerre est un inclassable. Ce n’est ni un récit de tranchée, ni une chronique de l’arrière comme tant d’autres, mais un pamphlet pacifiste d’une puissance rare. Contrairement à la plupart des auteurs du genre, Dalton Trumbo n’a pas fait la guerre. Publié en 1939, au moment du pacte germano-soviétique, le roman tombe mal : son message pacifiste choque, et après Pearl Harbor, il devient carrément dérangeant dans une Amérique mobilisée pour le combat.


Le style, raconté à la troisième personne, met à distance le corps et l’humanité du protagoniste, un soldat réduit à l’état de conscience enfermée dans une chair mutilée. Cette narration, proche du flux de conscience, donne l’impression que seul l’esprit subsiste, détaché d’un corps devenu prison. L’horreur de sa condition est totale : ni bras, ni jambes, ni visage, ni voix. Le roman alterne entre les souvenirs de sa jeunesse et sa lente prise de conscience de ce qu’il est devenu. Le passage du cauchemar est particulièrement éprouvant : privé de tous ses sens, il ne peut même plus fuir la douleur dans le sommeil.


Lorsqu’il parvient enfin à communiquer avec l’extérieur, en frappant l’oreiller de la tête en morse, une lueur d’espoir surgit. Mais cet instant d’humanité est vite renversé : Johnny demande à être exposé dans une cage de verre, comme preuve vivante de l’horreur de la guerre. Le refus qu’on lui oppose achève de le condamner au silence et à l’invisibilité. Trumbo en profite pour délivrer un message limpide et brutal : aimer la vie, se méfier des discours héroïques, des mots creux glorifiant la mort pour la patrie.


Roman activement censuré pendant la Seconde Guerre mondiale, on comprend aisément pourquoi : il ne pousse pas les hommes à mourir pour leur pays, mais à refuser qu’on les y condamne. Johnny s’en va-t-en guerre est une lecture difficile, presque physique, surtout si l’on est sensible. Mais c’est une lecture essentielle, une cicatrice littéraire qui ne s’efface pas.


Gilead
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