L’abolition de la peine de mort, le combat de notre très cher Robert Badinter.

Ce livre qu’il écrivit lui-même, relate la trajectoire judiciaire depuis l’affaire Buffet et Bontems de 1971, jusqu’à l’abolition de la peine de mort en 1981. Comment ne pas être admiratif d’un tel accomplissement après avoir témoigné de tant d’efforts endurés ? Ce combat n’était pas gagné d’avance. Il était même voué à hanter indéfiniment l’enceinte de nos cours d’assises, si Monsieur Badinter ne s’était pas investi de cette tâche.

En 1971, il s’enquerra d’abord du scandale de Clairvaux. Une histoire aussi bien sordide que scandaleuse d’une prise d’otage au sein de la prison éponyme. Alors que deux détenus, Buffet et Bontems, ne trouvent pas d’issue d’évasion, Buffet prend la décision horrible d’égorger les deux otages. Le verdict de la peine de mort tombe pour les deux détenus alors que Bontems, est « seulement » complice. Robert Badinter ne se remettra jamais de ne pas avoir pu sauver ce dernier d’un tel supplice.

La revanche prendra place 5 ans plus tard, au sein de la même cour d’assise à Troyes qu’il avait vu perdre Bontems, mais cette fois-ci pour défendre Patrick Henry. Ce dernier a assassiné froidement un enfant après l’avoir enlevé pour obtenir une rançon. Le scandale est national, les passions sont à leur paroxysme tant le crime est effroyable. Patrick Henry était même passé à la télévision quelques jours avant la découverte du corps, jouant l’indigné et proclamait ironiquement la peine de mort pour le kidnappeur.

Au milieu de ce climat intense et insoutenable, alors que le verdict de la peine de mort pour Ranucci était tombé quelques semaines auparavant, de surcroît non gracié par le président Giscard d'Estaing, Patrick Henry semblait voué au destin funeste de la guillotine. Mais Robert Badinter a révélé toute sa puissance humaine ce jour-là. Mesdames et messieurs les jurés, ce n’est pas un monstre mais un homme que vous souhaiteriez froidement exécuter, ce n’est pas justice mais vengeance que vous prononceriez, ce n’est pas la loi de la République mais celle du Talion que vous appliqueriez, et ce n’est pas vous, en finalité, qui jugeriez de la moralité d’une telle décision, mais l’Histoire et votre conscience. Car que penserez-vous de vous-mêmes lorsque la peine de mort sera abolie ? Quel sera le poids de votre fardeau d’être les derniers à prononcer ce verdict ? Patrick Henry sera condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Ce jour-là, Badinter blessa mortellement la mort elle-même.

Ce combat comporte une dimension philosophique évidente. Robert Badinter mit en avant lors de son discours à l’Assemblée nationale en 1981, le fait que la France devait être prête. Depuis Saint-Fargeau en 1791, en passant par Condorcet, Voltaire et Victor Hugo, le supplice de la peine de mort a scandalisé les grandes figures françaises. Pourquoi alors, l’a-t-on maintenu plus longtemps que nos voisins européens ? La guillotine, on le sait, a toujours représenté le culte révolutionnaire. Les ennemis de la nation, considérés comme des traîtres, étaient exécutés sans procès, sans possibilité de défense et ce, de manière expéditive. Ainsi, les criminels passaient par ce supplice, ayant trahi le contrat social qui nous liait à eux. Il était grand temps d’en finir avec ce simulacre de justice.

Non, combattre pour la dignité humaine ne revient pas à amoindrir la gravité d’un crime. Mais avant tout, quelle justice est-ce celle qui tue le tueur ? C’est celle qui créé des martyrs. C’est celle qui s’abaisse au même niveau que le crime lui-même. Et c’est aussi celle qui déresponsabilise le criminel qui doit répondre de ses actes par une réparation. Certes, il ne pourra ressusciter sa victime. Cependant, il pourra œuvrer pour le bien de la société, contribuer à sa propre réinsertion, car si une vie, voire plusieurs ont été enlevées, d’autres doivent renaître et bénéficier de la correction du méfait.

Je pense notamment à Mickaëlle Paty, sœur de Samuel Paty. Dans son livre « Le cours de Monsieur Paty », elle mentionne ce jeune homme qui avait dénoncé son frère au terroriste qui commit ensuite l’assassinat. Alors que le garçon, éploré après la sentence du Tribunal correctionnel, s’approcha d’elle en disant que sa vie était finie, Mickaëlle lui répondit : « Bien sûr que si, tu auras une vie. Et tu vas en faire quelque chose, parce que c'était ce que Samuel attendait de toi. »

L’Etat de droit est effectivement l’outil créateur et protecteur de la liberté et de la dignité humaine. Il encadre nos pratiques et suit le cheminement philosophique et intellectuel des hommes qui luttent contre l’obsolescence juridique, vecteur de l’injustice. Comment ne pas louer une telle abnégation, une telle hargne pour la justice et les valeurs de la France ? Monsieur Badinter était convaincu que ce qui faisait rayonner la France n’était pas sa culture ou son passé historique glorieux mais bien sa contribution aux droits de l’Homme. En tenant compte des architectes de notre droit, en entretenant la mémoire de ceux et celles qui se sont battus pour nos acquis, en dédiant nos pensées à ces personnes qui ne nous quitteront jamais vraiment, je vous le dis Monsieur Badinter, la France rayonne aussi par les hommes comme vous, qui ont façonné nos droits.

Ce sera avec un immense honneur, celui qui émeut aux larmes, que je serai présent à votre panthéonisation amplement méritée le 9 octobre prochain.


Shimon-Lucius
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le 23 juin 2025

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Shim'on Lucius

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