L'Enracinement
7.9
L'Enracinement

livre de Simone Weil (1949)

Je ne savais pas comment faire un commentaire sur cet essai et aujourd’hui quelques jours après avoir fini ma lecture, j’ai enfin décidé de me lancer dans la rédaction de quelque chose.
Quelque chose ? En effet … Je ne sais pas trop quoi en dire ni quoi en penser …
Alors je vais tâcher de vous exposer un rapide résumé. L’enracinement se décompose en trois parties. La première expose les besoins de l’âme puis les décline comme le besoin d’ordre, la liberté, l’obéissance, la responsabilité, l’égalité, la hiérarchie, l’honneur, le châtiment, la liberté d’opinion, la sécurité, le risque, la propriété privée, la propriété collective et enfin la vérité. On enchaîne ensuite sur une partie qui explique le déracinement, notamment le déracinement ouvrier, celui paysan et le lien étroit entre le déracinement et la nation. On termine par une partie relative à l’enracinement.
Donc trois parties, le compte est bon ! Mais je ne viens que de vous proposer le sommaire de cet essai … En effet, ce résumé pose plus de questions qu’il n’en résout … Et maintenant je vais essayer de préciser le propos de Simone Weil dans la mesure de mes pauvres capacités. Ne me tenez pas rigueur si mes explications sont peu claires car j’avoue tout de go que moi-même je me suis perdu plus d’une fois et je ne suis même pas sûr d’avoir toujours retrouvé le bon chemin …
Il serait utile de comprendre ce que Simone Weil entend par besoin de l’âme. Ce besoin de l’âme est intimement relié à une notion d’obligation. En effet, S Weil entame son essai ainsi :
« La notion d’obligation prime celle de droit, qui lui est subordonnée et relative. Un droit n’est pas efficace par lui-même, mais seulement par l’obligation à laquelle il correspond »
Voilà qui n’éclaire guère notre lanterne. En fait, cette pensée se précise peu à peu
« Un homme qui serait seul dans l’univers n’aurait aucun droit, mais il aurait des obligations »
« La notion de droit, étant d’ordre objectif, n’est pas séparable de celles d’existence et de réalité. Elle apparaît quand l’obligation descend dans le domaine des faits ; par suite elle enferme toujours dans une certaine mesure la considération des états de fait et des situations particulières. »
« L’obligation seule peut être inconditionnée »
« L’obligation ne lie que les êtres humains »
« Cette obligation a non pas un fondement, mais une vérification dans l’accord de la conscience universelle. »
Voici quelques points qui permettent de comprendre le concept d’obligation selon Weil.
« La liste des obligations envers l’être humain doit correspondre à la liste de ceux des besoins humains qui sont vitaux, analogues à la faim. »
Evidemment ces besoins ne sont pas que physiques mais peuvent être moraux et s’étendre :
« On doit du respect à une collectivité, quelle qu’elle soit – patrie, famille, ou tout autre – non pas pour elle-même, mais comme nourriture d’un certain nombre d’âmes humaines.
En ce qui concerne les concepts d’enracinement et de déracinement, j’ai trouvé le paragraphe introductif du second chapitre assez explicite
« L’enracinement est peut-être le besoin le plus important et le plus méconnu de l’âme humaine. C’est un des plus difficiles à définir. Un être humain a une racine par sa participation réelle, active et naturelle à l’existence d’une collectivité qui conserve vivants certains trésors du passé et certains pressentiments d’avenir. Participation naturelle, c’est-à-dire amenée automatiquement par le lieu, la naissance, la profession, l’entourage. Chaque être humain a besoin d’avoir de multiples racines. Il a besoin de recevoir la presque totalité de sa vie morale, intellectuelle, spirituelle, par l’intermédiaire des milieux dont il fait naturellement partie. »
Par la structure de cet essai en petits paragraphes quasi indépendants les uns des autres, Simone Weil fait preuve d’une fulgurance qui porte le lecteur à s’armer de son arme préférée pour noter des citations. Oui, pour moi, l’Enracinement est incontestablement une machine à citation : phrases courtes, percutantes et le plus souvent dans un contexte minimaliste. D’ailleurs, si on considère la biographie de Simone Weil, elle apparaît comme un caméléon aux idées multiples, voire contradictoires si ce n’était pas elle qui les énonçait.
Et dans ce texte, il me plait de penser qu’elle dévoile une partie de son intimité, ses « besoins d’âme ». Je n’ai pu m’empêcher de faire un lien entre son mysticisme avéré et son propos qui semble dans un premier temps peu étayé ou justifié mais plus de l’ordre de la révélation. Mais ceci n’est en réalité que le premier niveau de lecture, le premier sentiment à cette lecture étonnante et détonante. Car la justification et l’étaiement se construisent au fur et à mesure, de manière diffuse, sans liens réellement perceptibles. Je pourrais dire que finalement les propos sortent de l’ordre de la compréhension pour être plutôt ressentis ou perçus (du moins c’est mon analyse personnelle …).
Après je ne voudrais pas oublier la richesse et le foisonnement des idées et des propos qui sont souvent étonnants ou déroutants : ne va-t-elle pas jusqu’à trouver des excuses à Hitler ?
Hitler ? Oui il en est question mais aussi de Rome, des Grecs de l’antiquité, de Richelieu, de Charles VI … Weil intègre et justifie souvent ses propos par une relecture de l’Histoire selon des périodes et hommes clef. Je l’ai d’ailleurs trouvée le plus souvent un peu trop péremptoire dans ce registre.
Mais l’enracinement c’est aussi un cri d’amour à la France et cela ne m’ait apparu évident qu’aujourd’hui, jour de commémoration de l’armistice de la Première Guerre Mondiale. C’est un essai éminemment français dans ses références et offert aux Français : je me demande bien ce que pourrait penser un étranger d’un tel texte … Un cri d’amour perdu ou éloigné car ce texte transpire par toutes ces pages les heures sombres pendant lesquelles il a été rédigé : une France bicéphale alternant entre De Gaulle ou Pétain, entre la résistance et la collaboration.
Et maintenant, qui a envie de s’enraciner ?
Et pour la bonne bouche, une citation :
Une anecdote hindoue raconte qu’un ascète, après quatorze années de solitude, revint voir sa famille. Son frère lui demanda ce qu’il avait acquis. Il l’emmena jusqu’à un fleuve et traversa à pied sous ses yeux. Le frère héla le passeur, traversa en barque, paya un sou et dit à l’ascète : « Cela vaut-il la peine d’avoir fait quatorze ans d’efforts pour acquérir ce que je peux me procurer pour un sou ? » C’est l’attitude du bon sens.

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le 11 nov. 2014

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