Quand j’ai passé mon épreuve anticipée de Français il y a de cela sept ans, la femme qui m’a interrogée avait, a priori, écrit une thèse sur L’étranger. J’étais passée sur un texte de Stendhal mais les questions de l’entretien portaient sur Camus et m’ont fort heureusement rapporté des points, parce que L’étranger, on aime ça - peut-être pas de la même manière, mais on aime ça - à dix-sept ans, comme à vingt-trois et comme à l’âge qu’avait cette femme.
Relire ce roman a bouleversé mes sens, j’ai eu l’impression que les sept ans qui séparaient ma première lecture de celle que je viens d’effectuer m’ont permis de redécouvrir l’œuvre, autant en bien qu'en mal. J’ai lu un film, Camus était le narrateur et s’exprimait comme les acteurs des années 1960 et le récit se dessinait dans ma tête. C’est la neutralité absolue de Camus, l’« écriture blanche » qui permet cela. Pourtant, seul Meursault est identifiable à l’écriture blanche, c’est lui qui semble dépourvu de sentiments, qui agit presque de façon robotique, pour qui tout est égal. L’étranger, c’est un film calme sur un drame, car chaque meurtre reste un drame, un film qui détend malgré la mort, le malaise, l’étouffante chaleur omniprésente. On aime L’étranger pour sa fluidité, pas pour ses personnages : on s’attache difficilement à Meursault et on a pitié des personnages secondaires qui subissent la vie du protagoniste.
Cette écriture blanche, cette absence est omniprésente au moment du procès mais est complètement mise de côté à la toute fin du roman, quand, pour ce qui semble être la première fois, Meursault est conscient de ce qui lui arrive, de sa mort imminente. La mort est, évidemment, l'objet premier du roman : elle est présente au début, au milieu et à la fin, et rythme totalement le récit. Pourtant, on passe la majeure partie de la lecture à la voir derrière un voile, derrière les yeux de Meursault, et, à cause de sa narration à la première personne, on ne voit même pas la sienne dans cette fin qui ressemble à une fin ouverte.
J'adore L'étranger, c'est un fait, mais cette relecture (ou peut-être rerelecture, quoi qu'il en soit, j'ai grandi, mûri et lu beaucoup de bouquins depuis ma première approche avec Camus) m'a fait me rendre compte que, finalement, le roman était meilleur la première fois, que les sensations ne sont plus vraiment les mêmes en le relisant (ce qui n'est, pour moi, pas le cas de tous les romans). J'ai pris beaucoup moins de plaisir à le lire cette fois-ci qu'il y a sept ans, mais je pense qu'il reste un excellent roman, peut-être trop simplifié et réduit quand on l'enseigne dans le secondaire, mais qui a toutes les qualités que je recherche dans un livre.