Le soleil frappe la façade de Marseille. Il chauffe la peau, il claque sous les néons du taxi. Dans La Bonne Mère, Mathilda Di Matteo capte cette chaleur, ce cri suspendu entre deux mondes — l’un populaire, vibrant, savoureux ; l’autre lisse, silencieux, presque coupable. Clara revient. Elle revient à Marseille comme on replonge dans un passé qu’on croyait épuisé. Elle traverse la virée — la mer, la cigarette, le sac trop strict — et se transforme en caméléon. Son accent s’efface. Ses gestes se modèlent. Mais elle n’efface pas les traces.
Véro la mère la voit. Elle la voit changer. Elle la voit revenir accompagnée de Raphaël — le « girafon », selon elle. Bourgeois, glacial, bouche fermée comme une huître. Le cadre est posé. Le décor, celui d’un week-end champêtre, devient un champ de mines symbolique. Marseille est ensoleillée, croustillante, affectée ; Paris est grise, regardante, invisible. Les phrases claquent comme un mistral sur les persiennes.
Le récit est fait de double voix : d’un côté Véro, flamboyante, accrochée à ses paillettes, à ses talons, à ses dents trop blanches. De l’autre, Clara, l’exilée : brillante, silencieuse, en fuite des siens. Le lexique change. Le ton vacille. On entend le cri de la racine qu’on foule. On sent la sueur de la honte. Le roman respire la matière : l’accent qui vibre, le vernis qui craque, la voix qui se tait. On a l’odeur du pastis et la poussière parisienne.
La violence n’est pas spectaculaire. Elle est compacte. Elle s’infiltre entre les étreintes. Elle se glisse entre deux verres. Elle palpite dans les silences d’un repas où on ne dit pas ce qu’on sait. On pense à À ciel ouvert, à ce minuscule film social où tout se joue dans la couleur d’un mur et le bruit d’une porte. Ici, on ne cherche pas le grand geste : on regarde la fissure. La fracture. Et on la suit jusqu’à ce qu’elle devienne horizon.
Et pourtant… pourrait-on dire que quelque chose manque ? Peut-être l’ampleur, le souffle épique de la révolte. Le roman reste confiné dans l’intime. Mais cette modestie devient sa force. Véro qui parle fort devient confession. Clara qui avale ses mots devient révolution. Le style est précis, vif. On rit de leurs maladresses. On serre les dents en voyant leurs blessures. On sort du livre avec le goût du sel, de la mer, et de la colère retenue.
La Bonne Mère, c’est un roman-miroir. Pour les filles qui partent. Pour les mères qui attendent. Et pour toutes celles et ceux qui cherchent à être à leur place ou à la quitter. Ma note : 14 / 20
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