Il fut un temps où l'idéal démocratique ratifiait un nouvel essor pour l'humanité, plus libre, plus responsable, plus cultivée, bref, plus grande que jamais. Aujourd'hui, toutes les valeurs qui en faisaient un projet politique grandiose se sont effondrées. Nous voulons des droits, mais plus aucun devoir. Nous avons rejeté la religion mais ne l'avons remplacée que par un vide insondable qui se nourrit de publicités et de marques. Nous élevons la tolérance en principe cardinal, mais nous en oublions toute notion de respect. Nous voulions la liberté, et nous l'avons eue: chacun peut faire n'importe quoi n'importe quand. Il ne s'agit plus d'imposer quoi que ce soit, ne serait-ce qu'une culture à nos enfants, parce qu'ils ont le droit de s'intéresser à autre chose qu'à de vieux livres et des personnages historiques désuets. Et tant pis si certains sont encore analphabètes à 10 ans.

Ce livre de Christopher Lasch, historien de formation et auréolé d'une réputation subversive, est le testament d'un étonnant intellectuel du XXème siècle. Ayant réussi à réunir plusieurs articles en un tout cohérent et structuré juste avant sa mort dans les années 90, Lasch parvient à étayer dans un langage relativement clair ce que nous ressentons tous confusément: la ruine de la modernité. Incroyable coup de couteau porté à notre orgueil occidental, "La révolte des élites" met en exergue la déliquescence, la stupidité, la paresse et l'inconscience de notre société en nous expliquant que tout vient d'en haut. La déchéance de ceux qui détiennent l'argent et l'information est le fruit ultime d'une culture individualiste qui corrompt la notion même d'élite, mot censé désigner le moteur spirituel de la civilisation. Au lieu de ça, l'élite d'aujourd'hui vit dans un espace-temps virtualisé, toujours "ailleurs" plutôt qu'"ici", toujours "maintenant" et oublieux des temps futurs. Un nouveau type d'humanité sans attache, sans rêve plus ambitieux que la satisfaction immédiate au détriment de la cohésion de l'ensemble. Mais la tolérance fait loi, n'oubliez pas ! La démocratie donne de moins en moins de contrôle sur le monde au peuple mais compense en offrant de plus en plus d'occasions de se divertir, de braver la tradition, de se moquer de l'Histoire et des idéaux de jadis.

Toutes les idées se valent. Et la médiocrité l'emporte forcément. A une époque où la moindre réflexion contre cet état de fait peut être taxée d'intolérance, voire de racisme, l'Etat-providence prend soin du peuple, surtout des plus paresseux, tandis que les travailleurs les plus acharnés voient leur ardeur se fissurer au rythme des licenciements et des plans de retraite expurgés. La fin du rêve approche lentement. Qu'avons-nous raté ? Laissez un spécialiste vous guider dans une longue histoire pleine d'illusions et de déceptions... Il y aura bien quelques passages nébuleux ou des digressions parfois un peu difficiles à relier au reste. Mais l'éveil de la conscience qui en résulte vaut bien cet effort. "La révolte des élites" est un foisonnement d'idées et de réflexions extrêmement stimulantes. Oui, c'est un livre rare et qui devrait être lu par quiconque se sent citoyen et pas seulement touriste sur Terre.
Amrit
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le 13 sept. 2012

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le 13 sept. 2012

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