Jeannette, l'enfance de Jeanne d'Arc !

Celui qui manque trop du pain quotidien n'a plus aucun goût au pain
éternel.

Qu'il est bon de se plonger dans une écriture "élève le plus brillant de la classe" fin XIXe-début du XXe, avec l'odeur de ces tables avec des encriers, des cahiers remplis de lignes d'écriture scolaires soignées, avec juste quelques timides pâtés, dus à la complexité du maniement de la plume, que le buvard n'a pas pu adsorber. Une saveur authentique très "hussard noir", ce terme que l'auteur de cette œuvre, Charles Péguy, a inventé.

Mais il y a une valeur ajoutée d'études supérieures à travers une belle maîtrise des codes de la poésie (par le biais de figures de style spécifiques, de rimes précises, de la disposition du texte même sur la page mettant en avant aussi bien les silences que les paroles, etc. !), et une connaissance de la littérature médiévale, dans laquelle l'oralité était essentielle. Ce qui donne des répétitions régulières pour insuffler la sensation que le réciteur puisse mieux retenir un texte et celle pour que n'importe quelle personne dans l'assistance puisse comprendre l'intrigue en arrivant à n'importe quel moment de la représentation.

Au Moyen Âge, genre dramatique qui mettait en scène des sujets
religieux tels que la Nativité, la Passion, la Résurrection, des
scènes tirées des deux Testaments ou de la vie des Saints (cntrl)

Voilà ce qu'est le mystère, celui de l'enfance de la future sainte-Jeanne d'Arc. Mais pas d'ancien français ou de moyen français ici, mais un français simple et riche à la fois comme on savait si bien le parler et l'écrire au temps du certificat d'études primaires.

Un décor simple, la toile de fond de la Meuse et de Domrémy (qui ne s'appelait pas encore évidemment Domrémy-la-Pucelle !) avec son église. Trois personnages, Hauviette, amie âgée de 10 ans et quelques mois de la future sauveuse d'Orléans, vivant sa foi et son existence simplement, Madame Gervaise, nonne de Lorraine, ayant acquis avec beaucoup de mal et de prières l'humilité en acceptant qu'il soit impossible de porter tous les malheurs du monde, de sauver toutes les âmes, au contraire de l'héroïne, tombant dans une angoisse inutile et dans l'orgueil en ne voulant pas admettre ses propres limites de simple mortelle, limites qui l'empêchent encore de voir la lumière de l'espérance, que la France, exsangue et humiliée par les batailles et les saccages, a la capacité de renaître de ses cendres.

En parallèle, il y a le destin exceptionnel de la jeune fille qui se dessine à travers une ironie dramatique où la future martyre pense que les chrétiens de sa France ne sont pas ceux de la Passion, que jamais ils n'auraient laissé le Christ être condamné, en croyant que les hommes ont changé en quatorze siècles.

Sous des dehors touchants de modestie comme peut l'être la rédaction d'un écolier appliqué, Le Mystère de la charité de Jeanne d'Arc de Charles Péguy est une œuvre d'une grandeur stylistique et thématique remarquable.