Son frère schizophrène lui avait dit : « Tu devrais écrire un livre dans lequel rien n’arrive. » Alors, le prenant au mot, il s’est appliqué à écrire une histoire où « presque rien n’arrive », mais « tout y a un sens ». Ce livre, c’est le récit de la vie qui passe, une vie « banale, insignifiante », mais qui « pèse pourtant à ce point sur la pensée, le caractère et l’âme qu’elle finit par leur donner une raison d’être. »
Désormais sexagénaire, le narrateur mène une existence paisible auprès de sa femme Livia, de son chien Pablo et de son chat Lennon, tout entière emplie des beautés de son jardin et de l’écriture quotidienne de l’unique page à laquelle il se limite depuis ses vingt-cinq ans et son entrée dans la peau d’un écrivain, parce qu’il faut s’appuyer « sur le regard bien davantage que sur l’imagination » et « être peintre avant d’être poète ». Souvent, son frère qui habite le bourg voisin où une pépinière l’emploie quelques heures à la belle saison, fait une apparition sur sa bicyclette, poursuivi par ses tourments et par son chaos intérieur.
C’est lui, le roitelet, à la tête marquée de jaune : « un oiseau fragile dont l’or et la lumière de l’esprit s’échappaient par le haut de la tête », « un roi au pouvoir très faible, voire nul, régnant sur un pays sans prestige, un pays de songes et de chimères, pourrait-on dire ». Laissant de côté la violence de la maladie, de la peur et du rejet ordinairement subi, les deux frères se nourrissent l’un l’autre de leur tendresse et de leur complicité, s’enveloppant d’une bulle réparatrice et consolante, façonnée dans la contemplation apaisante des beautés qui les entourent - « le balancement d’un arbre, ou les calmes variations du ciel au-dessus de la maison » -, échangeant au hasard de leur quotidien des propos que leur profonde et magnifique justesse auréole d’une bouleversante splendeur.
Toute en pudeur et en délicatesse, la plume de Jean-François Beauchemin effleure les souvenirs et le quotidien de ces deux hommes unis par une indéfectible affection pour en collecter « ces moments de grâce où le temps s’arrête, dirait-on, et laisse sa place à quelque chose du plus matériel, de plus humainement saisissable, et de moins cruel ». Tandis qu’avec eux l’on s’émerveille du temps qui passe, des perfections de la nature et de l’amour qui nous lie à nos êtres chers, l’on se retrouve sous l’enchantement de cette si belle méditation sur la vie et sur la mort, sur l’étrange cohabitation du corps et de l’âme, sur la puissance consolatrice des liens familiaux et affectifs.
Rares sont les livres touchant au sublime comme celui-ci, tissé par une écriture magnifique autour d’une réflexion profonde et poétique, entre spiritualité et philosophie, qui vous va droit au coeur et à l’âme. Une œuvre éblouissante et un grand coup de coeur.
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