J'entrevois dans le livre d’Omar Youssef Souleimane, une forme de sincérité : celle d’un homme qui a fui le fanatisme religieux et croit désormais le reconnaître, sous d’autres formes, au sein de la gauche française. OK. Cette sincérité est à respecter et entendre.
Maintenant qu'on a dit ça, il faut dire et répéter que sincérité n'est pas vérité si elle peut être démontée.
Les Complices du mal se présente comme une enquête mais il n'en est rien. Souleimane, poète et écrivain oubliable, sort un peu de nulle part et entre dans la niche médiatique à la mode, celle qui en ce moment vous ouvre les portes de tous les plateaux télé : le matraquage anti-LFI. Mais premier problème : il n'est pas beaucoup question de LFI dans ce livre, pas avant plusieurs chapitres et surtout pas autant qu'on est en droit d'attendre d'un livre qui prétend révéler des dérives internes au mouvement. L'auteur retrace son parcours en Syrie, comment il a fui l'affreuse tyrannie du criminel Bachar Al-Assad, c'est d'ailleurs pas inintéressant du tout.
On apprend pas grand chose, pour ne pas dire rien du tout, précisément parce que Souleimane n'enquête pas, il n’analyse pas, il ne donne ni chiffres, ni sources, ni faits vérifiables... Et c'est quand même le gros problème de bouquin : c'est essentiellement une collection d'impressions, d'interprétations, de rapprochements symboliques, pas mal de sophismes et de syllogismes et énormément de procès d'intentions : tel fanatique islamiste vivant en France a déclaré un jour voter pour Mélenchon ce qui signifie donc que LFI est favorable à l'entrisme islamiste... Oui, on en est à ce niveau d'argumentation.
Donc le livre repose entièrement sur une intuition personnelle et comme lors de ses passages télé Souleimane n'hésite pas à recourir au bien pratique argument d'autorité : « je suis syrien, j'ai connu les fanatiques, je sais ce que j’ai vu, je reconnais ces schémas ici en France »... et il en fait un diagnostic politique global ! On rêve. Or cette stratégie est problématique car elle court-circuite la démonstration : on ne discute plus des faits, mais de la légitimité de celui qui parle. Sauf qu'entre le fanatisme que l'auteur a fui, bien réel et d'une dangerosité extrême, et les débats français sur la laïcité, il y a un gouffre !
Mais c'est là aussi où on comprend la roublardise de la mécanique, et qu'on réalise que c'est bien pratique comme argumentaire : puisque l'auteur est musulman et connaît les pratiques de l'islam, qui sont souvent méconnues du grand public français quoiqu'on en dise, il lui suffit d'en lister certaines et de les assimiler dans son livre à des pratiques intégristes irréfutables et le tour est joué : qui contesterait la parole d'un insider musulman ?
Ce livre confond, peut-être involontairement encore une fois je suis prêt à le lui accorder, autorité morale et rigueur intellectuelle. La France que Souleimane décrit, c'est la France de sa propre désillusion car elle ne correspond plus à son idéal républicain. Peut-être se voyait-il aussi une grande voix de l'immigration française par ses écrits, ce qu'il semble avoir loupé car jusqu'à présent il était resté sous les radars du grand public. En un sens je trouve ça triste et je serais presque en empathie avec lui si ce qu'il commettait avec ce libre n'était pas aussi grave.
Parce que le résultat ici, c'est un texte purement émotionnel, sans méthode, où la peur tient lieu d’argument. Or dans un pays déjà saturé de tensions identitaires, publier une telle philippique sans preuve, sans faits, sans arguments mesurables, quantifiables, revient pour moi à alimenter la division qu’on prétend dénoncer. En voulant défendre la République que nous idéalisons tous à notre façon, Souleimane en trahit l’esprit même, car la République surtout en 2025, n’a pas besoin de marchands de peur mais d’esprits rigoureux et cohérents.
Alors Souleimane est peut-être sincère quand il écrit, mais son texte est purement émotionnel, intellectuellement douteux, philosophiquement inepte, sans valeur factuelle, et n'aboutit pas à aucune démonstration sinon celle de son habileté pour tordre la réalité à sa convenance.