Ça commence par une faille. Pas une scène, pas un décor — une secousse. La langue s’ouvre, grince, laisse passer l’air. Les Forces ne décrit rien : il respire. On entend le froissement du monde, son souffle éraillé. La narratrice, sans nom, sans refuge, se dresse contre l’ordre. Elle marche dans les ruines d’une syntaxe, dans un monde où les mots ont cessé d’obéir. Tout vibre — les phrases, les murs, le ciel. Il y a des éclats de verre, des reflets de néon, des silences d’église. Laura Vazquez écrit comme on traverse un orage : chaque mot est un choc, chaque image un battement. Elle tord le roman jusqu’à en faire une expérience physique, presque sonore. On sent le papier, la sueur, le froid des surfaces. La lumière, ici, n’éclaire pas : elle découpe. Bar désert, maison abandonnée, montagne, immeuble plein de sectes — autant de chambres d’écho où la voix s’éprouve. La fille avance, trébuche, reprend souffle. Elle ne cherche pas une histoire : elle cherche une place, une densité, une vérité nue. Le réel, dit le livre, n’est pas dehors — il est dans la manière de le dire. On pense à Beckett — pour le tremblement. À Dostoïevski — pour la folie morale. À Simone Weil — pour la tension spirituelle. Mais Vazquez fait tout exploser : le récit, la logique, la grammaire. Ce qu’elle invente, c’est un champ magnétique de mots, une matière vivante où tout circule. Les Forces n’enseigne rien, ne conclut rien. Il déplace. Il brûle. Il fissure la surface jusqu’à laisser passer la lumière. Quand on referme le livre, on croit encore entendre le battement du monde, quelque part, sous la peau. Ma note : 14 / 20 Un texte incandescent — entre souffle et vertige, entre cri et prière.