Alors que je me trouvais en villégiature à la montagne, loin de toute côte, je n’ai curieusement pas été en manque de l'air marin. Sans même bouger de ma chaise longue, je m'immergeais, jour après jour, dans ce fleuve de plus de 700 pages. Faut-il donc toujours traverser l'Atlantique, me suis-je demandé, pour avoir du consistant sous la main ?


Bien que la mer soit souvent synonyme de l'appel du large et de la grande aventure, peu d'écrivains savent l'aborder avec l'élégance et la profondeur qui conviennent, et encore moins en faire le miroir d'un monde intérieur, aussi singulier que puissant. Dans un genre qui ne s'essouffle jamais, où les hommes et les femmes semblent vivre toutes voiles dehors, Dominique Scali nous entraîne dans un voyage littéraire comme on en fait peu.


Voici donc que, du fond des âges et des mers, surgit Danaé Berrubé-Portanguen, qu'on appelle Poussin, dotée, pour le plus grand malheur de ceux qui l'entourent, du don étrange de savoir nager. Orpheline, tour à tour sauveuse et naufrageuse, elle évolue sur la mystérieuse île d’Ys, où un peuple, obsédé par l'honneur et le courage, a bâti un monde à sa démesure. Sur cette terre qui se vante de n'avoir que des marins, les terriens eux-mêmes se donnent des airs de loups de mer, et seuls les plus braves ont l'insigne privilège de vivre à l'abri, dans la cité fortifiée, loin des coups de boutoir de la grande marée.


C'est là que Danaé Poussin se soumet aux lois immémoriales de cet univers. Elle s'abandonne aux cycles qui animent les mouvements de la mer, comme à ceux, plus subtils et plus capricieux, qui régissent le cœur des hommes.


Ce roman, "Les marins ne savent pas nager", s’adresse à tous ceux qui, sans le savoir peut-être, se sont un jour demandé si ce n'était pas leurs larmes qui faisaient monter les eaux. Dominique Scali nous offre ici, avec une rare élégance, un roman d’aventures maritimes qui nous transporte dans un XVIIIe siècle imaginaire, où l'embrun se mêle au sel et où la poésie ne craint pas la cruauté du vent.


On devine que l’auteure, née à Montréal en 1984, a en elle une part de cette nostalgie des époques qu’elle n’a pas vécues, mais qu’elle nous fait, avec son talent de romancière et de journaliste, revivre avec un art consommé.

Eric_Zecchini
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le 24 août 2025

Eric_Zecchini

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