Très bonne surprise que cette came de fort bon goût qui me fut offerte à Noël par ma grande soeur, s'étant révélée être bien plus qu'une simple itération fantasiesque d'Arsène Lupin.
C'est d'autant plus impressionnant quand on sait que c'est un premier roman, venant de l'esprit bourré d'imagination de l'américain Scott Lynch et contant les aventures de Locke Lamora, leader du groupe restreint mais très efficace des Salauds Gentilhommes (à ne pas confondre avec Gangster & Gentleman Production, la boîte de prod du Roi Heenok), qui a pour but de dépouiller les nobles de Camorr, au nez, à la barbe et à la moustache des gardes et du Capa Barsavi, despote gouvernant d'une main de fer la pègre locale.


On le voit tout de suite, nos héros sont moralement ambigus. Mais bien qu'ils ne soient pas des paladins loyaux bons, ils restent malgré tout liés entre eux par une amitié solide et ne sont pas du genre à tuer pour le plaisir. Il n'est pas question ici de chercher de la poudre de perlinpinpin dans la forêt des hommes-framboises afin de la balancer à la tronche de l'ignoble sorcier Macron le macaron, qui est méchant, mais genre super méchant, mais genre méga méchant, mais genre ultra méchant.
Nan, ici on a affaire à des personnages faillibles, nuancés, et qui ont leurs raisons d'agir ainsi : Locke va par exemple s'en prendre plein la gueule, mentalement comme physiquement, et les morts seront nombreuses et imprévisibles, ajoutant au sel et au réalisme des rebondissements et des bastons dont l'histoire est truffée, et rendant les antagonistes réellement dangereux et terrifiants.


Personnages d'ailleurs situés par Lynch dans le microcosme de la gigantesque ville portuaire de Camorr, qui en devient elle aussi un à part entière : Camorr, cette plaque tournante du commerce où le sang et l'argent coulent à flots, rappelant bien sûr Venise mais aussi Lankhmar, dominée par les vestiges indestructibles laissés par les Eldren, une ancienne civilisation ayant mystérieusement disparu, dans lesquels vivent les plus fortunés, se mettant à l'aise dans leurs palais somptueux acquis grâce à de fructueuses affaires commerciales. Tandis que les plus pauvres s'entassent dans la fange et des taudis putrides, que l'on jette des meurtriers et des esclavagistes dans des arènes inondées remplies de bestioles aquatiques bien vénères, pour le plus grand plaisir de la foule en délire, que les bateaux, porteurs de denrées exotiques, vont et viennent par le port, que les alchimistes concoctent leurs potions ésotériques, et que chaque quartier, avec chacun ses lieux et son identité propres, abrite son lot de filous, bandits, assassins et escrocs.
Bien que l'intrigue se situe intégralement au sein des murs de cette poule aux oeufs d'or urbaine, Lynch se permet malgré tout d'évoquer les autres contrées et leur histoire, éléments servant à ancrer l'univers dans un contexte crédible, et qui interviennent parfois dans l'histoire.


Les Mensonges de Locke Lamora est aussi un roman à atmosphères, puisque Lynch s'ingénie à nous faire goûter les plats raffinés, sentir les arômes capiteux, voir les monuments somptueux, et toucher l'ordure à l'état pur de Camorr par une plume riche en adjectifs qui immerge dans son ambiance sensuelle et colorée, en plus d'être particulièrement fine et propice à des dialogues à peu près aussi savoureux que des spaghettis carbonaras :


"Au bout des tables de banquet se trouvaient les desserts (le cinquième bel art) : des gâteaux à la crème de cerise enrobés de coques d'or comestibles, des tartes à la cannelle minutieusement assemblées en forme de navires et agrémentées de pâtes de miel, une flotte entière de petits bateaux aux voiles en pâte d'amande et à l'équipage en grains de raisin (...) Il y avait des pastèques pelées pour en laisser voir la chair rose, le blason de Camorr sculpté sur chaque face, des globes alchimiques sertis les faisant luire d'une appétissante lueur."


Mais c'est pas tout, ami lecteur, puisque le bousin tient beaucoup de la comédie shakespearienne. Laissez-moi déblatérer mon verbiage : le bousin est organisé en cinq livres, comme autant d'actes dans une pièce de théâtre de l'époque, avec par-dessus le marché des interludes, entre certains chapitres, entractes sur papier racontant façon roman d'apprentissage l'enfance de Locke, son apprentissage de voleur d'élite, et la construction de ses amitiés. Camorr devenant une sorte de scène de théâtre où les personnages défilent et s'entre-tuent. L'influence du moustachu élisabéthain ne se retrouve cependant pas que dans la forme, puisque les arnaques et intrigues se basent sur la capacité légendaire de Lamora, acteur-né, à se grimer et incarner d'autres personnes : Il sera alors surtout question de faux-semblants, de coups de putes, de baratinages et de mensonges extrêmement alambiqués pour duper celui en face, mais surtout pour notre plus grand plaisir.


Le style, l'univers, l'atmosphère, les personnages, les dialogues, l'histoire...Lynch réussit la prouesse de raccrocher parfaitement les différents wagons du TGV. Un délice à lire, je reprendrai volontiers de cette hydroponique avec les tomes suivants.


"Un jour, Locke Lamora, dit-il, tu merderas si superbement, si ambitieusement, de façon si accablante, que le ciel s'embrasera, que les Lunes valseront et que les dieux eux-mêmes chieront des comètes de jubilation.J'espère seulement que je ne serai pas là pour voir ça."


Note : 8,5.

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le 2 janv. 2020

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