‘Lettre d’une inconnue’, signé Stefan ZWEIG en 1922, est une nouvelle issue du recueil Amok où l’on trouve aussi ‘La femme et le paysage’, ‘La nuit fantastique’ et ‘La ruelle au clair de lune’. Comme toujours, l’écriture de Stefan ZWEIG est précise, travaillée, ciselée, dirais-je. Et, de ce fait, même si le lecteur peut craindre un phrasé ayant pris les poussières du temps, il faut lire cette lettre car, plus que de poussière, il est question dans ce livre de la patine du temps. Celle qui donne moins d’éclat aux objets mais qui les marques de la durabilité des humeurs, des attentes, des rêves et des espoirs que le temps d’hier a suscité encore et qui marque encore le présent de l’inconnue qui écrit.
De l’inconnue, nous ne saurons pas grand-chose. Fille d’un milieu modeste, elle s’est peu à peu élevée dans le rang social, plus par vengeance et dépit que par intérêt personnel. Ce que nous savons, d’entrée de jeu, c’est que son enfant est mort. Elle le répétera, ouvrant chacun des volets de sa missive par cette affirmation : « Mon enfant est mort hier » …
Le destinataire ne sera pas plus connu. C’est un Monsieur, romancier de son état, qui fréquente le beau monde et ne semble pas hésiter à consommer la gent féminine pour son seul plaisir, sans tresser de liens avec ces femmes, semblant les oublier aussitôt et ne pas les reconnaître lorsque le hasard ou la volonté farouche de l’une d’elle provoquent une nouvelle mise en présence … là où il est inutile, bien sûr, de parler de rencontre.
Cette inconnue s’est tue durant des années, une vie, sa vie et celle de son enfant. Il est mort hier, elle peut donc parler, écrire avant de mourir à son tour.


Si, en 2017, on prend l’inconnue pour une femme lambda, on ne peut y croire. Elle est folle, stupide, idiote et a gâché sa vie en la consacrant à une chimère.
Si, en 2017, même si cela paraît malheureusement beaucoup moins choquant, on prend le romancier pour un narcisse lambda, on a envie de lui casser la figure.
Mais que cette histoire peut paraître désuète, ne nous donnant aucune envie de libérer quelque empathie pour l’une comme pour l’autre.


Mais, je ne peux m’empêcher de penser que, derrière ces mises en place de personnages ‘anonymes’, l’auteur a voulu nous offrir une dramaturgie de l’attente réelle et, tout en même temps, irréaliste. Celle d’une passion amoureuse qui vit jusqu’à l’absurde, une attente qui fige le temps et, tout en même temps, permet de le traverser. A moins que cette lettre ne soit la supplique métaphorique de qui rêve d’un monde de rencontre, d’amour, de fidélité et de responsabilité… et ne découvre qu’illusion, désespérance qui conduisent à l’étouffement de ce rêve-enfant, de ce monde-attendu, de cette force qui donne de vivre malgré l’adversité, le déni, l’ignorance ou le rejet.

Bref, une lettre qui donne à réfléchir … Trop tard ? Peut-être pas !

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le 27 sept. 2017

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