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CRITIQUE CENTRÉE SUR LA SAISON 11 (8,5/10)

Après plus de 10 ans de diffusion, 10 saisons, de multiples récompenses et la création d'un spin-off qui en est déjà à sa deuxième saison, la série culte de Ryan Murphy et Brad Falchuk arrivait à un tournant important dans son histoire. Les audiences en chute libre et une dixième saison qui a viré au désastre semblaient les indicateurs d'une fin de vie proche pour la série d'horreur anthologique mais c'est bien à un inattendu et poignant retour en force que l'on a pu assister avec ce onzième opus destiné à diviser.

Les disparitions mystérieuses se multiplient dans les rues de New York et la liste des morts s’allonge. Pendant ce temps, un médecin fait une découverte effrayante, et une nouvelle menace plane sur la ville.

Les points forts :

- Le cadre new-yorkais, loin des stéréotypes et clichés

- Un ton mature mais qui n'oublie pas les racines de la série

- Joue habilement avec les univers des précédentes saisons

- Une invitation à revoir, réinterpréter ce que l'on voit

- Joe Mantello, Russell Tovey et Zachary Quinto

- Sensible et humain

- Un final magistral

Les points faibles :

- Des épisodes parfois bien trop courts

- Gâchis de Rebecca Dayan et de Sandra Bernhard

- Des métaphores pouvant parfois mal se mêler au reste

Noir c'est noir

Il était peu dire que cette saison pouvait sembler être celle de trop, le signe qu'il était temps de conclure cette aventure horrifique débutée en 2011 par le duo Murphy/Falchuk. La chute libre des audiences et l'échec critique flamboyant du dizième opus "Double Feature" semblaient indiquer que la machine tournait en rond, piégée à l'idée de se renouveller constamment à cause du format anthologique de la série (où chaque saison raconte une nouvelle histoire avec de nouveaux personnages et un renouvellement du casting) mais aussi de plaire à une fanbase installée et empêtrée dans d'éternels débats afin de savoir quelle serait la meilleure saison du show ou quelles seront les prochaines connexions à faire entre elles. En effet, malgré sa nature anthologique, les saisons de la série sont intrinsèquement liées entre elles par des références, clins d'oeil et autres caméo de personnages passant d'une saison à l'autre, construisant une mythologie riche et complexe dont il est difficile de s'extirper si l'on veut éviter de faire s'effondrer le tout. Ainsi, il semble impossible de pouvoir encore apporter une nouvelle pierre à l'édifice, de proposer une nouvelle histoire, de nouveaux enjeux, alors que le peu de spectateurs restants semblent (à en croire les réseaux sociaux) préférer retrouver d'anciens personnages ou l'ambiance qui les avait marqués dans telle saison que de se confronter réellement à de la nouveauté. Ce onzième opus s'est présenté dès le départ comme une forme de rupture avec le passé : une communication tardive et chimérique autour de la saison et de son thème, pas de trailer officiel, des affiches plus énigmatiques que jamais et un casting composé quasi exclusivement de nouvelles têtes, la saison se présentait timidement et sobrement (deux mots qu'on utiliserait certainement pas pour décrire cette série depuis ses débuts). Première note d'intention : le décor prenant place dans la New-York des années 80. La série prend ainsi l'allure d'un thriller policier américain typique des eighties avec pour inspiration principale le "Cruising" de William Friedkin. L'atmosphère de la ville, sombre et inquiétante, marquée par la pauvreté et les inégalités, possède un aspect crasseux et désillusionné qui imprime une tension impalpable et constante. Les diverses intrigues nous menant au coeur du milieu gay et BDSM de l'époque, la sensation d'entrer dans un univers caché, un milieu parallèle à celui du reste de la ville, est pregnente : c'est un visage autre de la Grosse Pomme que la saison souhaite nous montrer, celui des désaxés et des laissés pour compte, où la sexualité ne peut se dévoiler que dans des recoins sombres et douteux, se cachant du reste de la ville. La série se permet, surprenamment, de plonger parfois dans l'abstrait et le métaphorique, usant d'images récurrentes (la figure de l'ange, la sans-abri, les cerfs...) pour mieux installer un spleen mais aussi la sensation d'opression et d'épée de Damoclès qui plane au-dessus des personnages. Les nombreuses haltes scénaristiques à Fire Island donneront lieu à un ensoleillement visible à l'image qui sera intentionnellement lié uniquement à cet endroit, lieu vu comme un paradis perdu pour un certain nombre de personnages. Ainsi, le cadre reflète toujours le coeur du propos et des sentiments des personnages. Saison donc davantage terre-à-terre et paradoxalement davantage tournée vers l'intériorité des personnages et l'impalpable. Elle demeure aussi plus froide dans sa représentation de la violence, moins omniprésente que dans le passé et surtout moins exagérée. A noter la présence d'une très longue scène musicale dans le final de la saison, absolument bluffante de surréalisme et de tristesse, laissant la parole aux images, à la musique et à la puissante interprétation des acteurs. Le générique de la saison (marque de fabrique de la série qui fait partie de sa réputation) est à l'image de cette dernière : sombre, torturé (dans tous les sens du terme) et symbolique. Il annonce d'ailleurs très bien les thématiques de la saison et ce vers quoi elle s'engage sans jamais trop en dire non plus.

Le cycle de la violence

La plus grande force de cette saison réside cependant dans son propos. Scénaristiquement, la série allait sur des rails tout tracés qui devenaient particulièrement prévisibles et parfois pénibles à suivre : certains défauts devenaient même récurrents (trop grand nombre de personnages et d'intrigues, des flashbacks incessants, des modèles d'intrigues trop souvent repris, une représentation trop frontale de la peur et de la violence, usage du comique pour dédramatiser certaines situations) comme en témoigne le désatre de la deuxième partie de la saison 10 baptisée "Death Valley", embarrassante variation sur le thème des Aliens et des modifications génétiques. Ici, le récit s'articule autour de deux intrigues (l'enquête sur le ou les tueur(s) en série qui frappe(nt) la communauté gay new-yorkaise menée par l'inspecteur Patrick Read et le journaliste Gino Barelli et de l'autre les recherches menées par le dr. Hannah Wells concernant une étrange épidémie mortelle qui frappe les cerfs de Fire Island et qui pourraient frapper l'espèce humaine rapidement) sur lesquelles vont se greffer la quinzaine de personnages centraux à cette saison. La saison use avec parcimonie des intrigues et time-jumps afin de mieux rester collés aux personnages, permettant une très forte identification des spectateurs. Que ce soit dans leurs problématiques ou leurs comportements, ce sont des personnages marqués par la vie et torturés, à fleur de peau, et dont la sensibilité et l'humanité seront quetionnées par la force des évènements. Que ce soit dans le passif tortueux de certains ou dans les difficultés de la vie de tous les jours pour d'autres, les personnages ne sont jamais unidimensionnels et évoluent constamment : ils sont ainsi bien plus crédibles mais aussi vecteurs de plus d'émotions pour le spectateur. Les deux intrigues permettent d'aborder la situation dramatique de la communauté gay/BDSM de l'époque : communauté invisibilisée, renfermée sur elle-même pour sa propre survie, victimes de violences et d'abus constants, marginalisée et condamnée à la pauvreté et au secret, elle est à la lisière de deux périodes : celle d'avant les années 1980, et celle qui suit, marquée par l'émergence du VIH qui transformera la vie de cette communauté en enfer permanent, époque noire et traumatique qui a surtout illustré le manque de considération et l'abandon dans lequel était laissé cette partie de la population. Les personnages vivent à une période de transition, de calme avant la tempête, qui les poussent à remettre en question les fondations de cette communauté dont ils font partie. La paranoia instiguée par les meurtres en chaîne évoque la paranoia qui sera inhérente au VIH, impliquant la peur de l'autre et la perte de solidarité pourtant si nécessaire. Une autre part du récit est l'importance du poids que peuvent avoir la honte et le regret, comme déclencheurs d'un cycle de violence permanent. En effet, pour certains personnages il sera question de s'assumer auprès de la société mais aussi de se confronter à leurs traumatismes passés qui les ont profondément marqués dans le mauvais sens. Un message d'acceptation de soi et d'ouverture aux autres toujours prôné par la série depuis ses débuts mais qui trouve ici un sens plus amer et désemparé, comme si ce message, plus nécessaire que jamais dans le monde actuel, devenait de moins en moins audible et effectif. Un potentiel aveu d'échec pour Ryan Murphy et ses compères, confrontés à la fin proche de la série mais aussi à des problématiques toujours autant actuelles (homophobie, système médical plus que perfectible aux États-Unis...) ainsi qu' à un besoin de rappeler, à travers un devoir de mémoire, cette époque noire afin de ne plus reproduire les mêmes erreurs tout en honorant les trop nombreuses victimes de la maladie mais aussi des violences homophobes notamment. La saison ne tourne cependant pas totalement le dos à ce qui faisait l'essence de la série jusque là : certaines références aux autres saisons sont bien présentes mais peu nombreuses et utilisées pour ce qu'elles représentent symboliquement et non pour faire plaisir bêtement aux fans de la première heure

(le caméo de l'Ange de la mort de la saison 2 n'est ici pas l'occasion de faire revenir une énième fois Frances Conroy de manière iconique mais bien de représenter l'ampleur des angoisses de Gino et la présence de la Mort qui harcèle les personnages durant l'entièreté de la saison).

Aux oubliés

Cependant, malgré ses nombreuses forces, la saison demeure imparfaite et parfois rattrapée par les défauts inhérents à la série dans son ensemble. En effet, malgré le fait que l'écriture arrive à jongler entre les personnages de manière plutôt habile, certains seront assez incompréhensiblement mis de côté : le personnage de Fran (Sandra Bernhard), bien qu'instauré rapidement et semblant voué à être au coeur des évènements, sera progressivement mis de côté voire oublié dans les derniers épisodes

(Quid de ses affirmations concernant le gouvernement, de ses capacités de médium ?).

Le bât blesse notamment encore plus pour le personnage d'Alana, interprété par Rebecca Dayan, fabuleuse et rare source d'intérêt de "Death Valley", ici complètement oublié par l'intrigue sans aucune raison valable. La très courte durée des épisodes peut laisser une impression d'inachevé tant le rythme est parfois un peu trop soutenu mais conséquence sans doute directe de la chute libre des audiences et du manque de communication autour de la série : elle n'a sans doute plus les moyens de ses ambitions, expliquant l'un et l'autre des défauts soulevés précédemment.

Pour conclure, American Horror Story semble renaître de ses cendres avec ce onzième opus sombre et désespéré, humain et surréaliste, politique et amère, qui embrasse la noirceur d'une époque cruelle envers une minorité qui ne pouvait même plus se fier en elle-même ainsi qu'en l'avenir, noirci par la maladie qui émergeait. Saison politique et frontale qui déjoue de nombreux codes et tropes de la série, ne lorgnant plus sur le fan-service au risque de perdre ses fans , ouvrant en grand les vannes de l'émotion. La peur redevient ce qu'elle est dans la vie réelle : insaisissable et partout à la fois.

Pour aller plus loin :

-"Cruising" (1980) de William Friedkin

- "120 Battements par minute" (2017) de Robin Campillo

- "American Horror Story : Cult" (2017)

DrOwl370
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le 13 août 2023

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