Avec cette toute nouvelle saison, la série prend bel et bien un virage à 90 degrés. Et quelle bonne idée. Quelle fraîcheur, quelle puissance, quelle réussite par rapport à une saison 5 bien faiblarde.
L’esthétique typique de la série est toujours là. Les épisodes sont assez longs, deux dépassant une heure, Beyond the Sea détrônant Nosedive comme l’épisode le plus long de la série. À l’inverse, Mazey Day ne dure que 40 minutes, devenant ainsi l’épisode le plus court de tous, titre jusque-là détenu par Metalhead. Des séquences silencieuses à la Drive (rien que dans Beyond the Sea) laissent, comme on l’avait déjà vu souvent depuis Fifteen Million Merits, une place de choix à la symbolique : particulièrement dans l’allégorique Mazey Day, mais également pas mal pour Demon 79 où l’intrigue se développe sur plusieurs plans ! Les easter eggs rattachent les épisodes aux autres, ce qui fait plus ou moins de sens selon le contexte. Le thème de l’acrasie revient véritablement en ligne de mire, sauf peut-être un peu moins dans Beyond the Sea.
Cependant les « codes » de la série sont généralement remis en question : deux épisodes se déroulent dans le passé ! Le propos est aussi plus social (racisme ordinaire (Demon 79, Loch Henry), sexisme, inceste, presse people, extrême droite), le visuel est plus généreux en violence graphique, même si parfois il n’est littéralement qu’au second plan (Demon 79, Beyond the Sea). Des thèmes nouveaux sont abordés : solitude, bien & mal, doppelgängers, déviance sexuelle (même si on l’avait préfigurée avec White Christmas et Shut up and Dance). Deux épisodes (Mazey Day et Demon 79) sollicitent le merveilleux, ce qui est une vraie première et a un certain charme – en outre, dans les deux cas, on peut donner une interprétation très plausible écartant cette entorse au réel (métaphorique pour l’une, psychologique pour l’autre).
Cette nouvelle saison est très efficace… elle reste dans la tête. Elle joue à cette fin sur les « petites peurs » (effraction dans Beyond the Sea, kidnapping dans Loch Henry, perte de l’intimité dans Joan is awful, ennui éternel dans Beyond the Sea et Demon 79, peur de « passer à côté de sa vie »). Elle est d’autant plus dérangeante que les « nouvelles technologies » qui sont souvent les éléments perturbateurs centraux des épisodes sont ici plus curieusement exploitées : on a en fait affaire à des inventions déjà existantes (plateformes de streaming ultra-intrusives dans Joan is awful, photographie et paparazzisme dans Mazey Day, menace nucléaire dans Demon 79, vogue des true stories dans Loch Henry), et bien sûr il y a le cadre rétrofuturiste de Beyond the Sea. De plus, le propos est souvent subtil, plus visuel que dialogué. La musique est également très importante, comme dans certains anciens épisodes. Des thématiques de plus en plus philosophiques (libre-arbitre et démon malin, responsabilité, contingence) sont au cœur des scénarios, bien que mêlées avec des éléments beaucoup plus prosaïques (JT apocalyptiques regardés passivement à la télévision dans Demon 79, folklore fantasy dans Mazey Day, sans oublier les génériques incluant des chansons de variété populaires). En refusant de parler au futur, ces cinq nouveaux épisodes nous mettent beaucoup plus violemment face à face avec ce qu’elle raconte, ce qui n’est pas traître non plus : il suffit de se rappeler le premier épisode de la série ! Notons également dans cette idée que ces épisodes mettent aussi l’accent sur l’individuel.
Beyond the Sea, dont la longueur épuise et qui relève une réelle faute de scénario, est un peu à part, même si le propos est puissant. Ainsi, dans son immense généralité, cette saison s’en sort haut la main. Loch Henry tient peut-être la palme, allant jusqu’à se mettre en abyme au sein de la série. En mettant le doigt sur cette mode obscène, cet épisode va jusqu’à questionner notre rapport à Black Mirror, car même lorsque l’écran est allumé, notre manière de le regarder n’est pas du tout anodine.
(Cette critique a été écrite le jour même de la sortie de la saison 6 (!), et mériterait peut-être une relecture à froid.)