Créée, écrite et portée par Florence Longpré, Empathie s’installe dans un service psychiatrique qui accueille des patients ayant commis des actes graves, mais reconnus mentalement inaptes. La nouvelle psychiatre, Suzanne Bien-Aimé, est déterminée à aider ses patients, tout en composant avec ses propres fêlures, consécutives à un drame personnel.
En France, la psychiatrie reste le parent pauvre de l’hôpital, lui-même déjà très malmené (c’est un euphémisme). Je ne sais pas si la situation est comparable au Québec, où se déroule l’action. Dans la fiction, la santé mentale est rarement abordée , et souvent mal, généralement présentée dans un registre mélodramatique et sensationnaliste.
Rien de ça dans Empathie : on sent que Florence Longpré a creusé le terrain, parlé, observé, laissé infuser. Elle ne souhaite pas trahir son sujet, et semble en pleine conscience de l’enjeu. Le regard est documenté, nuancé, sans volonté de « réhabiliter » ou « diaboliser ». La maladie mentale est donc abordée avec une authenticité brute, loin des clichés habituels. On ne sera jamais assez reconnaissant à Floflo (permettez que je l’appelle ainsi ?) pour son élégance, son sérieux et le respect dont elle fait preuve. De fait, l’approche est étayée (on devine un énorme travail de préparation), nuancée et juste, avec une absence bienvenue de surenchère dramatique. Elle ne cherche pas l’effet, elle le traite avec pudeur.
Les dialogues sont d’une authenticité désarmante. Le rythme, les silences assoient la force des échanges. Ils ne s’abritent pas derrière un jargon de spécialiste, ils cherchent la rencontre. La difficulté de se comprendre, de se faire comprendre, de communiquer, reste centrale. La sincérité de la souffrance psychique comme physique est frappante.
Ne pensez pas pour autant que la série est déprimante. L’écriture laisse passer des moments comiques bien écrits, et surtout non forcés. Pas de vanne parce qu’il faut impérativement « muscler » une scène à ce moment-là. Non, ces éclats d’humour offrent un large spectre de nuances à l’existence. Ils aèrent, donnent du souffle, de l’ampleur à la thématique abordée.
Côté interprètes, ça joue juste, partout. Mais vraiment partout, quel casting ! On perçoit des comédiens qui portent leurs personnages avec tact. Floflo, déjà révélée comme créatrice et autrice-interprète des séries hautement recommandables « M’entends-tu ? » (2018) et « Audrey est revenue » (2021), confirme l’excellente actrice qu’elle est, surpassant sans peine de nombreuses têtes d’affiche actuelles au jeu souvent si réduit. L’expression « du rire aux larmes » lui convient à merveille, elle est capable de tout dans un même mouvement, avec naturel, autorité et fluidité. On la suit, on l’écoute, on respire avec elle. On s’inquiète même. Son personnage, loin de la superwoman ou de la psy rigide et froide, est pétri de fêlures. C’est un mélange merveilleux de doute, de contradictions et de détermination. À ses côtés, Thomas Ngijol est une belle surprise dans ce rôle. Il dépose son masque cynique pour être un compagnon de route calme, attentif. Son histoire personnelle et intime est délicatement abordée, même si elle semble parfois non aboutie. Le duo installe la colonne vertébrale émotionnelle de la série : deux professionnels qui essaient d’être là pour les autres et finalement, aussi pour eux-mêmes. Toute la distribution semble alimentée par le désir d’être tendre et respectueuse envers leurs personnages, afin d’être le plus honnête possible avec ce que traverse chacun d’eux.
La série est une montagne russe émotionnelle. Les pleurs, les rires, les mouvements, les dialogues ne sonnent pas artificiels. Le cahier des charges du parfait scénariste de série n’est pas scolairement appliqué. On parle ici avec le cœur, le ventre, la tête. Cette alliance fait du bien, est réconfortante, car elle est animée par une tendre pudeur. On perçoit beaucoup d’affection pour les personnages dans l’écriture, tout comme cette volonté d’avoir un ton juste, de ne pas tomber dans le mélodrame ou la comédie légère. L’équilibre est délicat, ténu, et fonctionne la majorité du temps (seul un épisode paraît légèrement moins bon que les autres). L’ensemble est scellé par un socle d’excellence, mué par l’empathie (tiens donc…). Le lien entre soignants et patients est particulièrement soigné. De même, la psychiatrie n’est pas romantisée. Les tensions, souffrances, traumatismes ne sont pas ignorés. La série nous rend disponibles à ce que vit autrui, nous confrontant à des réalités différentes. On nous invite à l’humilité, à reconsidérer nos préjugés sur les maladies mentales, à balayer nos jugements hâtifs basés le plus souvent sur la méconnaissance d’un sujet. Elle se montre cathartique, on en ressort bousculé. L’interrogation se développe en nous, l’attention du regard se décuple. Nous voilà en éveil, attentifs aux fragilités des autres, fussent-elles déroutantes.
Je n’ai jamais été aussi bouleversé, interpellé par une série, depuis Six Feet Under (2001 !). Surtout, je n’ai jamais vu une œuvre aussi animée par une urgence intérieure, une volonté de témoigner, mais sûrement aussi de se soigner. Elle nous ouvre les sens, nous met en appétit de regarder le monde avec les yeux et le cœur disponibles à l’autre, dans toute sa personnalité, son histoire et sa différence.
Floflo et son équipe accomplissent un grand geste artistique, sincère et humain. Et de nos jours, c’est plus que précieux.