(Cette critique est susceptible de contenir des spoilers non-masqués)
Je fais partie de ces gens qui ont lu goulûment les deux cycles d'Asimov.. il y a 30 ans.
De mémoire, le cycle des "robots" se situe plutôt au niveau "micro" et pose la question de la différence entre un humain, libre en pensées et en actes, et un robot, programmé et soumis à des lois intransgressibles. Et quid du libre-arbitre ? Le cycle de "Fondation", lui, se situe au niveau "macro" et présuppose qu'on peut mettre la somme des destinées humaines en équations (la fameuse "psychohistoire") pour prédire l'avenir. Et là aussi, quid du libre-arbitre ?
La série réduit cet ambitieux projet à "peut-on changer l'avenir ?"... c'est d'une pauvreté navrante, et sans être une "puriste de la fidélité à l'oeuvre originale", force est de reconnaître que c'est vraiment du gâchis.
Une fois ceci posé, on peut passer en revue plusieurs points (dans le désordre) :
- Les Cléon clones... ah ça c'est une fichue bonne idée. Qui n'est pas d'Asimov mais puisqu'elle est bonne je la prends. Avec trois acteurs formidables (mention spéciale à Lee Pace qui crève l'écran). Cette thématique se relie bien au thème "quid du libre-arbitre" ... quand on est le résultat d'une reproduction génétique quasi à l'identique, d'un système rigidifié à l'extrême et de l'éducation qui va avec... ?
- Toujours à propos des Cléon, l'idée est géniale mais pas toujours cohérente. D'accord, il y a de petites variations qui ont "fuité" dans les génomes, mais quand même, passer en trois siècles environ d'un Musclor benêt inculte imbu de son pouvoir, à un hippie galactique qui a tout compris et préparé son plan depuis des décennies en bernant tout le monde derrière son oinj', faut pas pousser Mémé trop loin dans les champis. C'est incohérent - mais j'adore.
- Les personnages changent de genre, de couleur de peau, tous les quotas LGBT- inclusivo - machin sont respectés, soit. Je n'en pense pas grand-chose, si ça peut faire plaisir, je suis bon public.
- La voix-off de Gaal qui nous débite des leçons de vie pseudo-intellectuello-philosophiques... totalement creuses. C'est pas possible, on se croirait dans Grey's Anatomy.
- Le sommeil cryogénique... pourquoi pas. En soi c'est plutôt une bonne idée pour franchir les gigantesques durées tout en conservant les mêmes personnages. Mais les caissons "magiques" qui savent où ils doivent aller - sans jamais rien percuter ?, qui résistent à toutes les conditions, toutes les immersions, toutes les températures... ? qui savent quand ils doivent "réveiller" leur occupant, etc... ? Je sais pas vous mais moi j'aimerais pas trop m'endormir là-dedans. Mais bon passons, je suis bon public. Inversement, on balance un caisson avec "juste une heure d'oxygène" en disant "c'est ton salut, quelqu'un va te trouver". Bin voyons. Allez, je suis bon public.
- Dans cet univers où tout se passe très très très vite (en théorie) les personnages ont toujours le temps de se dire adieu avec forces sanglots, larmes et déclarations. Allez, disons que c'est le format qui veut ça, soyons bon public et passons (sauf que pendant que les acteurs usent leur stock d'oignons, nous on s'ennuie ferme).
- Aux actrices qui interprètent Gaal et Salvor : déso les filles, vous êtes... ennuyeuses et transparentes. Je vous accorde que vous faites avec les scénarios et les dialogues bof-bof qu'on vous donne, mais prenez exemple sur votre collègue qui interprète "Frère Constant", elle a les mêmes scénaristes/dialoguistes nuls et pourtant elle est formidable.
- Je lis ici et là que "c'est beau" ? Ah bon ? Il y avait de quoi inventer, pourtant, mais on ne voit que des vaisseaux spatiaux dignes de "Cosmos 99" et "Star Trek", des planètes aux environnements tous plus clichés les uns que les autres (désert chaud, désert froid, jungle, forêt scandinave, temple "inca", île battue par les flots et les vents, etc etc... rien que du vu vu vu et re-re-vu). Un peu de créativité, c'est trop demander ? Ce n'est pas comme si les options étaient limitées... (c'est vrai que la créativité ça demande du travail humain, pas des tokens d'IA ou de CGI). Une exception pour Trantor, non seulement spectaculaire mais assez fidèle à la représentation d'Asimov.
- D'ailleurs toutes ces planètes ont des atmosphères respirables, naturellement. Allez, on prend, on est bon public.
- Hari Seldon.. Bon, lui, j'ai lâché l'affaire. Je l'ai vu mourir deux fois et il est toujours là, sans que j'aie compris comment. Il est vivant, mort, physiquement présent, projection, double quantique... ? Je n'en sais rien, je n'ai rien compris mais je suis bon public (en grande partie grâce à l'acteur qui semble bien prendre son pied et ça se sent).
- J'ai aussi lâché l'affaire avec les époques, les lieux, la numérotation des Cléon, etc... bref, je suis trèèès bon public. Je prends comme ça vient, basta.
Et maintenant le gros morceau : Demerzel.
- Demerzel 1 : ce personnage interprété de manière monotone et saccadée est donc un robot (jusque-là rien d'incohérent), mais un robot incognito qui serait pris pour un être humain par des centaines ou des milliards de personnes dans une société infiniment robophobe ? Seuls les Cléon (3 max à la fois) seraient au courant, alors que ça se voit comme le nez au milieu de la figure en permanence ? Pour que nous, spectateurs, on "sache" ? Vous nous prenez à ce point pour des quiches ?
- Demerzel 2 : Demerzel couche avec Cléon (Jour) ? Vraiment ? alors que c'est un robot ? Alors que c'est "the closest thing the Cleons have ever had to a mother" ? Mais c'est quoi l'idée derrière ça ? (surtout que ça n'apporte rien à l'histoire). C'était juste pour faire du subversif vaguement excitant pour certains en mode "Game of Thrones" ? Là je ne suis pas bon public du tout, c'est complètement tordu. Certes, Asimov a abordé la question des rapports sexuels (et affectifs) entre robots et humains dans son oeuvre, mais il a posé de bonnes vraies questions en les approfondissant. Là, c'est juste pour faire "genre" comme disent les "d'jeunz".
- Demerzel 3 : Demerzel est censée être la transposition de R. Daneel Olivaw.. ??? Vraiiiiment ? Certes, son nom pointe dans cette direction. Mais c'est pas possible. Demerzel tue de sang-froid, un individu, ou des masses d'humains : Daneel n'aurait jamais pu faire ça sans se retrouver endommagé au-delà de toute réparabilité. C'est juste pas possible. Second argument : Daneel est "bon", presqu'à un niveau "divin", et même lui se faisait un sang d'encre à l'idée de se prendre pour Dieu et/ou de se tromper et/ou de prendre des décisions qui le dépassent. Demerzel est un personnage infect, cruel, qui fait passer sa soif de pouvoir sous une prétendue "loyauté", bref, c'est tout le contraire, et c'est pas parce qu'elle entreprend une sorte de "thérapie" que ça y changera quoi que ce soit (j'en suis à S03 E04 à l'heure où j'écris cette critique). Enfin, Daneel n'était pas seul, il avait un Gemini Cricket en la "personne" de R. Giskard, et donc un témoin moral de ses actes, ce que Demerzel n'a pas. Ultime argument : Daneel est un robot totalement humanoïde, il a un comportement d'apparence 100% humaine (contrairement à Demerzel, voir Demerzel 1).
Et là je ne suis plus du tout "bon public" et je rejoins ceux qui pensent que la série a le droit de s'inspirer de l'univers d'Asimov mais ne devrait pas s'appeler "Foundation". C'est ahurissant que la propre fille d'Asimov ait validé ce bazar. Il reste des idées intéressantes (les Cléons, le lien entre science/politique/religion) mais qui ne sont pas au centre de l'oeuvre originale.