Hannibal
7.3
Hannibal

Série NBC (2013)

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Psychiatre éminent reconnu par ses pairs, fin gourmet et organisateur de banquets luxueux, mélomane averti à l'oreille absolue, Hannibal Lecter a tout de l'aristocrate influent et respecté dont la réussite évidente cache parfaitement les inclinaisons secrètes. A la demande du chef du FBI Jack Crawford, il accepte de prendre pour patient le dénommé Will Graham, un professeur de psychologie criminelle dont l'aptitude unique à pouvoir revivre les meurtres sur lesquels il enquête en fait un profiler particulièrement efficace et irremplaçable. Mais le don de ce dernier menace continuellement de le faire basculer dans la même folie criminelle des malades qu'il traque. D'où cet intérêt particulier de Lecter pour son nouveau patient en qui il voit non seulement un parfait adversaire mais aussi un authentique tueur en devenir...


Qui aurait pu prédire lors de la parution en 1986 du roman Dragon Rouge que l'un des personnages secondaires inventé par l'écrivain Thomas Harris pour les besoins de son intrigue deviendrait une icône incontournable de la pop culture ainsi que le plus célèbre des tueurs en série fictifs ? Probablement pas l'écrivain lui-même qui relégua tout d'abord ce petit homme cannibale au second plan dans la traque du Dragon Rouge avant de lui prêter une plus grande importance dans sa suite littéraire (et autre best-seller) Le Silence des agneaux. Si Dragon Rouge eut droit dès 1986 aux honneurs d'une première adaptation cinématographique par Michael Mann via son excellent Manhunter (Lecter y était alors remarquablement interprété par Brian Cox mais sciemment relégué au second plan), c'est en 1991 que le bon docteur conquiert son statut d'icône cinématographique, magnifié par le jeu magnétique d'un Anthony Hopkins justement récompensé la même année de l'Oscar du meilleur acteur pour le rôle. S'il fut rapidement question d'une suite au Silence des agneaux, il faudra attendre l'an 2000 et le retour en grâce de Sir Ridley Scott après Gladiator pour retrouver à nouveau Hannibal dans ses bonnes oeuvres dans une suite inégale et librement inspirée du roman éponyme de Thomas Harris, lequel y concluait d'ailleurs les trajectoires d'Hannibal et de Clarice d'une manière si dérangeante et "heureuse" que le scénario fut modifié pour coller aux desideratas des producteurs (dont le nabab Dino De Laurentiis, producteur de quatre des cinq films adaptant l'oeuvre de Harris). C'est donc sur une fin ouverte que nous abandonnions la trajectoire cinématographique d'Hannibal avant de le retrouver quatre ans plus tard, à nouveau incarné par Hopkins, dans une préquelle et seconde adaptation du roman Dragon Rouge, cette fois sous la direction du tâcheron Brett Ratner. Puis c'est à la jeunesse du cannibale que nous assistions dans le bancal Hannibal les origines du mal, adapté d'un autre best-seller (opportuniste puisque écrit pour qu'en soit tiré un film) de Thomas Harris.


Depuis lors, plus de nouvelles du docteur Lecter alors même qu'une vague de tueurs en série fictifs sans précédent jouaient des coudes et du couteau tant sur le grand que sur le petit écran. Ce n'est dès lors pas sans surprise que le retour du plus célèbre des cannibales se fit finalement à la télévision dès 2013 via la série Hannibal développée avec soin par le scénariste chevronné Bryan Fuller (à qui on devait déjà la création d'authentiques perles télévisuelles telles Dead like me, Wonderfalls ou encore Pushing Daisies, toutes annulées prématurément). Une série se présentant à priori comme une astucieuse préquelle au roman initial Dragon Rouge et qui se proposait de redéfinir subtilement la mythologie élaborée par Thomas Harris tout en narrant une succession d'intrigues originales remontant progressivement aux événements connus des romans et des films. Fuller n'a d'ailleurs pas caché dès le lancement de la série il y a deux ans sa volonté d'élaborer un arc narratif de sept saisons, commençant (trois saisons) avant les événements de Dragon Rouge pour se terminer (une saison) après ceux du film de Ridley Scott. La quatrième saison devait donc reprendre les événements de Dragon Rouge, la cinquième ceux du Silence des agneaux et la sixième aurait été une relecture du troisième roman avant une ultime saison sous forme d'épilogue original.


Au vu de la qualité formelle et narrative de la première saison, le spectateur d'alors ne pouvait que souhaiter que Fuller parvienne à concrétiser son ambition, et ce malgré l'audience aléatoire et les fortes polémiques suscitées par la violence de la série outre-atlantique. Il faudra pourtant aujourd'hui se contenter de trois courtes mais pas moins formidables saisons, qui loin de l'ambition initiale de Fuller, lui permettent néanmoins de réadapter de manière magistrale l'oeuvre de Harris. Et ce jusqu'à transcender les attentes et livrer une oeuvre télévisuelle majeure, un cran au-dessus de tout ce qui nous a déjà été proposé en matière d'horreur à la télévision.


Il faut dire qu'Hannibal ne cache d'ailleurs jamais son statut de série horrifique et regorge de visions gores et dérangeantes. Les scènes de crimes y deviennent autant de tableaux baroques et cauchemardesques qui participent grandement à l'identité visuelle de cette série hors-norme. Du violoncelliste égorgé et empalé sur son archet (un tout nouvel instrument de musique) à la jeune femme transpercée par des cornes de cerf en passant évidemment par le totem de cadavres ou la fresque humaine, le meurtrier devient ici un improbable artiste mortifère et l'amateur d'horreur ne pourra décemment pas reprocher à la série d'usurper sa réputation. D'autant que la série va bien au-delà de la subversion des différentes adaptations cinématographiques en reléguant ici bien souvent le corps humain à un simple paquet de viande, amoureusement découpé et préparé par le cannibale pour satisfaire ses papilles et celles de ses nombreux convives au fil des épisodes.


Producteur et scénariste talentueux, Bryan Fuller a su s'entourer des meilleurs artisans pour concrétiser à l'écran ces visions dantesques. Il délégua ainsi la mise en scène de chaque épisode à des réalisateurs habitués du genre comme Tim Hunter, Guillermo Navarro (chef op attitré de Guillermo Del Toro), Vincenzo Natali (Cube, Cypher), Neil Marshall (The Descent) ou encore David Slade (ce dernier, déjà réalisateur du très bon 30 jours de nuit, ayant par ailleurs fortement défini l'esthétique de la série). D'où ce soin particulier apporté à l'ambiance sordide et souvent surréaliste de chacun des épisodes, relevé par une direction artistique classieuse et une photographie à la palette chromatique subtile et originale.


Des qualités formelles indéniables qui mettent parfaitement en valeur les trajectoires toutes aussi contradictoires que complémentaires du profiler Graham et de sa némésis Lecter, lequel prend un malin plaisir tout au long des deux premières saisons à manipuler chacun des principaux protagonistes comme on dispose de vulgaires pièces sur un échiquier. Les treize premiers épisodes s'articulent ainsi autour de la descente dans la folie de Graham et sur la prétendue relation de confiance qui le lie à son psychiatre, sans se douter que c'est celui-ci qui tire malicieusement les ficelles de ce jeu de piste meurtrier et qui le fait sciemment douter de sa propre santé mentale. L'antagonisme semi-aveugle entre les deux personnages est d'autant plus retors que le psychiatre se pose comme le principal confident et allié de celui qui le traque. Extrêmement ambigu quant à ses motivations et ses intentions, peu avare en répliques sibyllines, Hannibal n'en est pas pour autant décrit de manière trop manichéenne. Il reste avant tout un personnage éminemment pragmatique (pour lui la frontière entre le bien et le mal est illusoire), croyant convaincu (il croit en un dieu cruel), révélant subtilement au détour de quelques lignes de dialogues les propres failles de sa personnalité. Tout aussi cruel et dénué d'empathie puisse-t-il être, Hannibal s'interroge parfois sur la solitude inhérente de sa condition, le regard unique et inavouable qu'il porte sur ses congénères et la possibilité d'être compris par son principal adversaire en qui il voit une sorte de tueur en devenir (un petit frère voire carrément un amant, le sous-texte homosexuel deviendra évident dès la fin de la seconde saison). Le personnage semble ainsi se lancer dans une quête improbable d'amitié et de compréhension, laquelle préfigure de bien des façons l'idylle impossible qui le liait à Clarice Starling. Une sorte de dépendance affective et contradictoire qui renvoie également à la notion d'antagonisme intime, liant inextricablement les trajectoires de deux adversaires jusqu'à finalement les confondre dans leur confrontation.


Tout cela prend forme dans une seconde saison autrement plus aboutie qui quitte peu à peu les sentiers de l'intrigue policière pour s'articuler principalement autour d'un jeu de dupes constant entre les protagonistes. La ligne de démarcation entre le bien et le mal, cette frontière morale qui tourmentait tant le brave Will Graham durant la première saison, devient ici de plus en plus ténue au fil des épisodes. Le spectateur lui-même en vient à perdre tous ses repères, entraîné dans une succession de faux-semblants morbides qui détournent habilement les événements littéraires (le fauteuil roulant embrasé...). Malin, Fuller prend régulièrement le contre-pied des attentes des fans de la première heure en y sacrifiant (ou non) des personnages essentiels à la mythologie imaginée par Thomas Harris. Il va même jusqu'à fragiliser momentanément son terrible anti-héros, en en faisant la victime d'un autre tueur en série.


Hannibal n'en reste pas moins le maître de cérémonie de cette traque meurtrière sans équivalent et on appréciera (ou non) la cruauté jubilatoire dont fait preuve le terrible psychiatre pour châtier ses adversaires tout comme le soin particulier qu'il apporte à préparer chacun de ses nombreux repas (la seconde saison est en cela particulièrement copieuse). Et si la manipulation psychologique à laquelle il se livre semble parfois frôler l'abus, toute la crédibilité de celle-ci repose in fine sur le jeu de son interprète principal. En cela Mads Mikkelsen s'avère tout simplement parfait dans le rôle-titre, au point qu'il s'impose aisément comme l'autre grande incarnation du cannibale. L'acteur danois redéfinit sensiblement le personnage, lui conférant une ambiguïté parfois désarçonnante, au regard de ce qu'est véritablement Lecter et de ce qu'il est voué à devenir. Son jeu ainsi que le scénario exploite ainsi de nombreuses facettes insoupçonnables du personnage, judicieusement révélées au fil de ses conversations et de ses confessions. A ses côtés (ou plutôt face à lui) on retrouve Hugh Dancy lequel avait non seulement déjà croisé Mikkelsen en 2004 sur le tournage du film Le Roi Arthur mais aussi auditionné pour le rôle du jeune Hannibal dans le dernier opus cinématographique en date. L'acteur britannique succède finalement à William Petersen et Edward Norton dans le rôle du profiler Will Graham et compose ici un personnage d'écorché-vif à la psyché continuellement tourmentée par des visions cauchemardesques (dont cet homme-cerf récurrent) lesquelles contribuent à renforcer l'aspect hautement fantastique de la série. Quant au personnage de Jack Crawford, s'il fut régulièrement relégué au second plan tant au cinéma qu'en littérature, il prend ici une plus grande importance, parfaitement incarné par Laurence Fishburne. L'acteur, désormais habitué du genre, en fait un mentor autoritaire aussi protecteur qu'irascible et continuellement tourmenté par les actes du tueur qu'il traque. On regrettera juste le manque de sagacité du personnage lequel refuse un peu trop longtemps de voir la vérité en face.


A ces trois principaux protagonistes viennent s'ajouter toute une galerie de seconds rôles tout droit issus de la mythologie littéraire établie par Thomas Harris. On trouvera ainsi un certain plaisir à croiser tout du long de ces trois saisons les nouvelles incarnations de personnages plus ou moins reconnaissables : le journaliste Freddy Lounds se voit ici féminisé en la personne de la blogueuse Freddie Lounds, tout comme le personnage du Dr Alana Bloom (autrefois Alan), le Dr Frederick Chilton garde ses couilles et reste (un temps) le directeur de la prison psychiatrique de Baltimore, laquelle compte parmi ses pensionnaires l'affreux Dr Abel Gideon (ici interprété par l'humoriste Eddie Izzard), l'inspecteur déchu Pazzi continue d'arpenter les rues sordides de Rome et de Florence, et l'on retrouve également l'ambivalente Margot Verger (personnage autrefois écarté de l'adaptation de Ridley Scott) ainsi que son infâme frangin, le rigolard Mason Verger (d'abord incarné par un Michael Pitt savoureusement cabotin puis par le non moins excellent Joe Anderson dans la troisième saison). Sans oublier le tourmenté Francis Dolarhyde (Richard Armitage, impérial) dont l'ombre terrifiante plane sur toute la dernière partie de la série. A ce joyeux petit monde vient également s'ajouter quelques personnages originaux comme celui de Abigail Hobbs et surtout celui de Bedelia Du Maurier (Gillian Anderson), l'énigmatique psychothérapeute de Lecter, avec laquelle celui-ci entretient des rapports plus qu'ambigus.


Si je ne suis pas particulièrement fan de ces séries qui surfent allègrement sur le thème archi-rebattu du tueur en série, déroulant des intrigues plus ou moins dérangeantes et racoleuses tout en ayant parfois l'infâme prétention de passer en première partie de soirée, je ne peux que reconnaître l'aspect hautement addictif de la série de Bryan Fuller, d'autant que celui-ci a toujours la franchise de situer son oeuvre dans un contexte horrifique certain qui interdit clairement son visionnage aux plus jeunes. Plus permissive et violente que toutes les autres séries existantes, Hannibal fait toutefois partie de ces rares fictions télévisuelles en constante évolution tant d'un point de vue visuel que narratif. Il aurait été ainsi bien difficile il y a un an de voir venir cette troisième saison, dont la mise en scène et la direction artistique rôdent en permanence à la lisière du fantastique gothique. Divisée en deux époques distinctes, cette saison, toute aussi cruelle que les précédentes, finit d'émanciper définitivement la série de toute la mythologie littéraire qu'elle adapte en détournant contre toute attente une partie du troisième roman, (dont l'intrigue se situe bien après les événements de Dragon Rouge et du Silence des agneaux) avant de lancer trois ans plus tard les enquêteurs sur la piste de la Petite... du Grand Dragon Rouge. Si cette ultime saison reste passionnante à tout point de vue, sa narration un rien précipitée, probablement dictée par des audiences continuellement en baisse outre-atlantique, pourra paraître quelque peu frustrante au regard de tout ce qui a précédé. Reste que Fuller va au bout de son idée, fragilisant dans un premier temps la relation Graham-Lecter (il s'agit alors moins d'appétit que d'amour cannibale) pour mieux souligner ensuite la dépendance respective de ces antagonistes intimes et livrer un final tout aussi dantesque qu'inattendu.


Entouré d'une équipe entièrement dévouée à sa cause, le showrunner accouche au final d'une série dont la plastique sublime et les qualités d'écriture et d'interprétation la placent aisément un cran au-dessus de la mêlée. Véritable cauchemar méphistophélique, habité de figures tragiques, insolites et inquiétantes, Hannibal est désormais une oeuvre qui n'a même plus besoin de ses modèles littéraires et cinématographiques pour exister.

Buddy_Noone
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le 2 sept. 2015

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