Show Me a Hero
7.7
Show Me a Hero

Série HBO (2015)

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La méthode Simon a ceci d'extraordinaire que, dans ses limites comme dans ses fulgurances, elle souligne avec profondeur, met en valeur et magnifie systématiquement le thème de l'œuvre qu'elle illustre. Et quand le propos en question est inspiré et intelligent, le résultat frôle forcément la perfection.


Même cause, mêmes effets, ramassée sur 6 épisodes, la trame narrative de show me hero rebutera ceux qui n'ont pas accroché à the Wire ou Treme, à cause de la mosaïque des personnages présentés, dont beaucoup n'imposeront leur cohérence narrative qu'en fin de récit.
Pourtant, comme à chaque fois, les atouts de ce parti pris sont infiniment plus puissants que ses potentielles scories. Ce qui donne une telle profondeur aux œuvres écrites par David Simon est la multiplicité des points de vue. Et comme à chaque fois, ce qui pourrait être plombé comme un pensum lénifiant devient lumineux et évident grâce à la lucidité et la précision de l'écriture de l'ex-journaliste.
Ce procédé, enfin, se montre d'autant plus efficace qu'il traite de politique, au sens large. Et s'il y a bien un domaine dans lequel la subjectivité et les intérêts particuliers règnent en maître, c'est bien (paradoxalement) celui-là. Du coup, les faux-semblants, les faiblesses, les concessions, les renoncements, ressortent avec d'autant plus d'évidence, et exposent avec une lumière crue la quasi impossibilité (sauf au cours de courtes parenthèses rarissimes, perdues comme autant d'instant de grâce improbables) du corps social à penser en terme de bien commun.


La politique, justement, parlons-en.
On est rarement aussi frappés par un cours ou une œuvre que lorsqu'elles bousculent avec pertinence et évidence nos idées reçues. Que quand elles se faufilent et se glissent sous la fausse apparence de l'évidence et du bon sens pour mieux les retourner et en révéler les coutures trompeuses et en contredire les conclusions faciles.
Et c'est complètement le cas ici. On a tellement l'habitude de considérer la classe politique comme une entité détachée du peuple et seulement soucieuse de ses intérêts propres, que seuls des mouvements citoyens vertueux pourraient parfois faire évoluer dans le sens d'une plus grande justice sociale, qu'on en oublie que cette imagerie d'Epinal n'est qu'une représentation déformée du fonctionnement habituel de nos démocraties. Qui tombe parfois juste, certes, mais pas forcément beaucoup plus que l'horloge cassée qui indique l'heure exacte deux fois par jour.


Ici, c'est donc à un manuel de politique inversée auquel nous avons droit. Un volume de la politique par les nuls.
Sur une sorte de malentendu (sur lequel je reviens juste après), les élus vont se retrouver contraints d'appliquer une loi, plutôt progressiste et sociale en l’occurrence, et vont être vite acculés dans leurs derniers retranchements par une large frange de leur électorat qui radicalise progressivement une position pour le moins conservatrice. Le choix de revenir sur cette histoire vraie (Yonkers, banlieue nord de new York, dans les 87-92) est en ce sens judicieux pour démonter les rouages et les mécanismes de la défiance, du refus, de la haine et de l'incompréhension fondamentale non pas entre les races (enfin, pour la plupart d’entre eux) mais entre les classes sociales, tout en écartant une partie de la thèse à charge dont on pourrait accuser les auteurs de la série, grâce aux nombreuses nuances qui sont apportés aux différents portraits. Plus les tensions s'aggravent, plus les masques tombent, révélant dans chaque camp des trajectoires souvent inattendues. Et l'on retrouve ici des points communs avec l'illustre modèle de cette mini-série, the wire.


Le propos est même si social qu'on se prend une ou deux fois à regretter qu'il ne soit pas plus tendu vers le seul aspect politicien (les accords, les tractations, les compromis) de l'affaire. En gros, qu'il n'y ait pas une dose un peu plus Aaron Sorkinienne dans la chose. Mais ce serait au fond une erreur car ce n'est pas le sujet principal de Show me a hero.


Le moment de revenir ici sur le titre de la série, et son interprétation.
La citation de F. Scott Fitzgerald (“Show me a hero and I'll write you a tragedy”) est en effet trompeuse. Quitte à user de la citation, il aurait mieux valu aller du côté de Bowie. Tout simplement parce que tous les types empêtrés dans cet imbroglio législatif et juridique sont presque vertueux à leurs corps défendant.


Nick Wasicsko se fait élire sur un malentendu, donc, une faille infime chez l’adversaire qui se transformera peu à peu en machine de destruction infernale, à effet différé et à trajectoire croisée. Ce n’est d’ailleurs que quand il prend position de manière affirmée et résolue que le piège se refermera inexorablement sur une carrière aussi brillante que fugace. Mais encore une fois, la terrible complexité des choses brouille une analyse rapide que l’on pourrait se faire de la situation, en estimant, en l’état, que les hommes politiques ne sont pas plus soucieux du bien commun ou visionnaires que leurs électeurs les plus acharnés. C’est pourtant bien la loi qui est à l’origine du nœud gordien de l’affaire. Et qui fait voter les lois, si ce ne sont les personnels politiques ? Faudrait-il en conclure que plus les décideurs sont éloignés du fameux "terrain", plus ils ont de chances de viser juste et imposer les décisions courageuses qu’une trop grande proximité interdirait ?


Cette dichotomie entre vie politique et vie soit disant réelle (sujet au cœur de la série) se voit d’ailleurs illustrée de très belle manière dans deux scènes poignantes du dernier épisode.
Il y a d’abord ce moment où Nick fait du porte à porte pour savoir comment vivent les premiers habitants des logements sociaux à l’origine de tous ses déboires électoraux. Outre une reconnaissance recherchée de manière un peu pathétique (contrairement à ce qui se dit à un moment, les électeurs n’ont pas de mémoire), il y a cette réponse que lui fait cette résidente, implacable, qui retourne la question de son ex-représentant : "et pour vous, est-ce que ça valait le coup ?"
Et puis cette autre scène où l’on voit en parallèle deux personnes pleurer pour des raisons diamétralement opposées: une mère de famille dont la vie va basculer, et un maire dont les ambitions ne sont plus qu’un champs de ruine, à force de mauvaises décisions en cascades. Dans les deux cas, la même action politique a fait son œuvre, avec des effets radicalement opposés, imposant sa marque floue entre le fondamental et le futile.


Un mot, enfin, sur la réalisation propre de Paul Haggis qui se coule très naturellement dans le système Simon. Presque trop, d’ailleurs. Sans une insistance un peu lourde dans une illustration sonore Springsteenesque et un final un peu appuyé, nous tenions un nouveau bijou absolu made in HBO.

guyness
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le 1 sept. 2015

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