The Third Day
6.7
The Third Day

Série HBO (2020)

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Et le troisième jour, le Créateur posa sa steadicam et se demanda si des images un peu fixes et pas en trop gros plans, ça n'aurait pas son charme aussi de temps en temps.


Puis il décida qu'en fait non, zooma x4000 sur les trous de nez de son protagoniste et satura les couleurs au filtre Instagram pour que ses images ressemblent au tuto make up de Kim Kardashian.


La base.


Ce ne sera un spoiler pour personne, on le voit venir dès la première ligne du pitch, c'est toujours la même chose avec les insulaires : les personnages de the Third Day ont un grain. Un gros. Et même : ils en ont tout le champ et la récolte qui va avec. Pour dire : tu les colles dans une casserole, ils vont se mettre à faire des bruits de pétarade et au bout de cinq minutes, montre en main, tu sucres, tu laisses refroidir et c'est prêt : miam-miam le bon pop corn ! Avec des vrais bouts de cinglés dedans, le genre à qui on a grave envie de distribuer quelques Baff (humour).


Là où ça spoile un peu plus, par contre (si peu), c'est que pour apprécier the Third Day, il faut avoir un grain aussi. Peut-être même deux. J'ai un peu perdu le compte entre les hallucinations.


Car oui, il faut avoir un grain pour trouver un fond de beauté (paradoxale) à cette esthétique grand-guignol, à cette nausée graphique de chaque instant - où se côtoient en bon voisins le mauvais goût, la grâce, le grotesque, le baroque, le haut le cœur, le kitsch, la séduction -, cette parodie macabre de train fantôme à l'abandon avec sa surenchère d'effets stroboscopiques coupée au LSD, ces plans flous pour faire fou, ces cadrages en état d'ivresse, ce montage en shuffle et le cameraman qui court pied nu dans les rochers poursuivi par des crabes ; tout ça agrémenté (si l'on peut dire) de visions à la Twin Peaks mais qu'on aurait acheté sur Aliexpress avec trois figurines de Vegeta-qui-louche pour 20 euros.


Absolument, il faut un grain pour trouver ça superbement hideux, atrocement magnifique et à la fois, magique, parfois, quand ténèbres et couleurs se superposent de force au sein d'un plan unique - et les saisons avec (c'est laid, et pourtant, quelque part, c'est beau, vraiment, à sa manière, éloignez cette casserole, je vous ai vu venir), tandis qu'on se laisse suivre un fil connu par cœur, aussi habile dans le planté de décor, l'attente, l'ambiance à la Dali, surréelle pour de juste, que chaotique et (trop) lapidaire dans la construction d'un récit pressé par le temps, la faute à un format trop court (de moitié au moins. Quand ton épisode 4 - non dispo en streaming - est deux fois plus long que le reste de ta série - douze heures, quand même, et filmé en direct, l'exploit est indéniable, la dinguerie aussi -, c'est qu'il y a un problème. Et un grain également, ça va sans dire).


Osea : on y vient pour Jude Law et on y reste, ben... pour Jude Law aussi. Ok, d'accord, soyons honnête, le beau gosse a perdu un peu de ses cheveux, mais rien de son magnétisme. Au contraire, il rayonne comme un illuminé. Ceci étant, qu'on ne s'y trompe pas : ces décors (sur)naturels le lui rendent bien, à commencer par cette route en lacet qui joue l'Atlantide par intermittence.


ça et l'ambiance, évidemment.


Car tout est dans l'ambiance. Pendant qu'on encense The Vast of Night pour sa soi-disant "atmosphère Lovecraftienne" (on en est loin, mais encore faut-il avoir lu le bougre - et pas simplement en manga, même si celui-ci est très bon), Osea, elle, a les faux airs marins d'une Innsmouth qui s'ignore (vraiment ?), distillant son venin avec la même perversité que la première (et meilleure, de fait) saison de True Detective. Avouez : c'est assez rare pour réjouir.


Vous reprendrez bien un peu de poisson ?


Dommage que le bad trip (au sens littéral comme médicamenteux du terme) prenne abruptement fin dans la deuxième partie, qui livre une prestation plus classique, trop classique (sur le fond comme la forme, comme le veut l'expression consacrée), plus terne (aussi) et surtout plus manichéenne. Plus archétypale également, au point d'en devenir plus prévisible. Et si les nouveaux personnages sont beaux, à leur manière, admirables, méritants, leurs décisions manquent par moment de crédibilité et vous renvoient aux pires heures du coupage de petit bois à deux heures du matin quand Patty et Bobby ont disparu depuis la veille.


Puisqu'on te dit de la prendre, cette fichue route, bon sang !


Mais las ! Il fallait bien ce renversement radical pour confronter ces deux approches du monde, ces deux visions, ces deux destins à la fois unis et disjoints, complémentaires aussi bien qu'opposés : mystique d'un côté - exalté, fantasque, intense dans l'ombre comme la lumière, l'ego friable comme une statue de sel -, pragmatique de l'autre - cartésien, nuancé, dans la retenue, les pieds ancrés sur terre. Un couple. Deux postures en conflit, deux manières d'être, deux façons personnelles de surmonter l'insurmontable, qui finissent par se fracasser l'une contre l'autre comme deux vagues de marée montante.


Chacune emportant avec elle un peu de son contraire, pour ne plus jamais se rejoindre.


Il est là, le coeur d'Osea : pas dans l'hystérie de son festival, pas dans son folklore inquiétant, pas dans ses aspirations spirituelles, pas dans ses enjeux narratifs premiers, mais dans la confrontation physique de ces deux dénis qui, pour pouvoir guérir, doivent voler en éclat : déni de réalité contre déni d'émotion, coeur et raison, le sel contre la terre encore, là où seul l'équilibre peut soigner l'univers. Osea, moins comme un personnage (qu'elle est pourtant) que comme une thérapie de choc - celle qui va pousser l'individu en souffrance, malmener, houspiller, jusqu'à lui faire verser des larmes de guérison ou le perdre à jamais, c'est dit explicitement. En somme, avec deux clans pour matérialiser cette dualité intérieure, cette chronique du deuil extraordinaire : sa propre métaphore.


Avec, bien sûr (et c'est presque dommage), une rédemption par l'amour, mais pas celui qu'on croit.

Liehd
7
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Une bonne série, c'est bien. Mais une série bizarre, c'est mieux. et Les meilleures séries des années 2020

Créée

le 22 févr. 2021

Critique lue 234 fois

Liehd

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