Beck
7.3
Beck

Manga de Harold Sakuishi (1999)

Dramatisme en Ré mineur. Très mineur.

On me dira - pour couper court à mon cynisme - que Beethoven était sourd alors qu'il composait au piano bon nombre de ses symphonies. L'argument est recevable, même incontestable, mais pas suffisamment pesant pour que je ne la mette en veilleuse. Un manga sur la musique a priori, ça paraît aussi judicieux et pertinent que de laisser un aveugle jouer aux fléchettes sans assistance. Vient un moment où ça ne relève même plus de l'idiotie mais de la basse mesquinerie.
Beck, c'est un manga sur la musique mais plus encore sur le monde de la production musicale au Japon. Pas de philharmonique, non. Comptez plutôt sur du rock contemporain, du post-grunge tout ce qu'il y a de plus industriel en la matière. Je n'entendais pas les sons mais je les devinais. Pas une note ne trouva grâce à mes oreilles - ou plutôt à mes yeux, considérant le support. Des musiciens, les plus excentriques d'entre nous en retiennent avant tout... la musique. D'autres adorent se perdre au milieu des ragots et autres anecdotes stériles entourant le groupe dont ils sont passionnés. Me concernant, je me fous de savoir si Michel-Ange s'entendait ou non avec la papauté du moment qu'il peignait le plafond de la chapelle Sixtine.
Beck, un manga sur la musique sans musique, une mélopée atonale et grippée sur les dévergondages d'adolescents prétentieux et mal élevés qui ne gagneront pas à l'être moins alors qu'ils remporteront un succès phénoménal.


Harold Sakuishi aura au moins eu le mérite de m'apprendre d'où venait l'un de mes mangas favoris alors que la lecture du premier chapitre me décrochait un large sourire carnassier. «Avant ma vie était nulle et puis j'ai fait la rencontre d'un musicien hors-pair. Depuis ma vie a changé pour le meilleur.» C'est ni plus ni moins que le scénario original de Pyû to Fuku! Jaguar. À peu de choses près que nous ne risquons nous fendre la gueule de sitôt et que nous ne resterons maintenus en haleine que par nos bâillements successifs qui rythmeront une trentaine de tomes qui a des choses à dire mais qui ne me parle pas.


Oubliez Jaguar - si tant est que vous suspectiez seulement son existence - et faites étale de votre blasement alors que la figure qui déclenchera le déclic musical chez Yukio ne sera autre que Mister Branchitude née en personne. Le modèle ténébreux ascendant surfeur américain dont l'un des personnages secondaires devra forcément préciser qu'il est charismatique afin que l'on en prenne connaissance. Cette information aurait-elle fait défaut que j'aurais suspecté à sa dégaine la posture d'un poseur qui mime la classe mais se garde bien de l'arborer. Il ne lui manque que la casquette à l'envers, les lunettes de soleil et le skateboard pour incarner le summum de la caricature branchée de la décennie 1990. La queue de comète du grunge qui, de ce genre musical, n'en aura visiblement retenu que l'esthétique.


L'auteur ne se montrera pas avare de poncifs alors qu'il nous en jettera treize à la douzaines pour créer du drame à pas cher. Une constance chez lui ; il n'y dérogera jamais et sa fidélité à ses principes l'honoreront. Son œuvre, moins. Yukio se retrouvera chahuté par des voyous non pas une, mais deux fois en un chapitre, un record aura été battu ce jour là. Pas le plus digne ni le plus glorieux, mais record battu quand même.
Il va de soi que le timide personnage principal sera sauvé in extremis par Monsieur cool édition Décembre 1999. Ça commence bien pour une foirade.


Premier chapitre clôturé, on ne sait toujours pas trop où l'histoire veut en venir. Il est de coutume - et même de bon aloi - de situer les enjeux de l'intrigue dès le départ. Ça n'est pas clairement défini ici. Il est question d'une fille dont le personnage principal est épris, d'une vague histoire de musique en trame de fond... ça ne va pas quelque part, ça flotte sur un torrent opaque dont on ne sait de quoi il est rempli. L'entrée en matière laborieuse sera l'affaire de quatre chapitres occupés à digresser d'ici à ce qu'ils ne rapportent enfin le propos de Beck. Attendre le deuxième tome pour que le scénario daigne enfin pointer le bout de son nez, là aussi c'est un record. Pas le genre dont il faut se vanter.


En définitive, ce que j'aurais lu aura confirmé mon implacable a priori ; un manga musical est effectivement aussi percutant que le langage des sourds adressé à un aveugle. L'effet induit - car il ne peut être produit - par les sons dans narration ne me parvient que difficilement malgré les efforts considérables de la mise en scène. Le tout s'avère désespérément statique et silencieux en dépit de l'acharnement de l'auteur à nous délivrer une épopée musicale crédible. Yukio est sans doute un remarquable vocaliste, il nous apparaîtra cependant aphone malgré les contorsions de ses lèvres collées au micro. Je suppose que pour que la magie opère il faut croire en ladite magie. Moi, je ne crois pas ; je me contente de lire. La lecture suppose que nous y mettions du nôtre alors que c'est à l'auteur de déballer ses tripes. La mystification sonore sur papier repose ici sur notre participation. Pour peu qu'on ne joue pas le jeu, l'illusion est dissipée.


Les dessins - sans être catastrophiques - n'ont pas l'allant attendu d'eux malgré l'entrain des personnages à s'activer. C'est dans la moyenne et, finalement, nous n'en attendrons pas plus. Il n'y avait rien à entendre et il n'y aura pas grand chose à voir. Les traits s'apprécient - c'est un style qui me plaît en tout cas - mais restent petit-bras en comparaison de bon nombre de Seinen mieux soignés. Si l'on est disposé à ne pas faire le difficile, le crayonné est largement appréciable sans pour autant remuer quoi que ce soit*. Je déplorerai malgré tout la similarité parfois trop conséquente entre différents visages qui m'auront rappelé le One Piece des débuts en plus détaillé pour ce qui est des têtes des personnages. **S'il y a une chose à retenir de Beck, ce ne sera pas ses dessins qui, sans êtres stupéfiants, ne déméritent pas non plus. Je reste partagé en ce qui les concerne.


Me voilà moins partagé concernant les personnalités des personnages. Je serais même plutôt catégorique en ce qui les concerne. Celles-ci s'en tiennent à ce que les visages des personnages puissent être disposés à exprimer à un moment T et rien au-delà. Le trait a heureusement la chance - et le talent - d'être communicatif, mais certainement pas assez pour approfondir des caractères mal trempés aux sentiments compulsifs et erratiques. On lit en eux comme dans un livre ouvert, un autre livre d'où ne ressort aucune musicalité. Sans être plats, ils n'ont pas grand chose à dévoiler sous la surface transparente derrière laquelle ils se croient dissimulés.


Des plans suggestifs de demoiselles - néanmoins refrénés par la censure évidente de la maison d'édition - et du graveleux bas-de-plafond se poursuivent inlassablement comme une succession de clins d'œil nous étant adressés sans discrétion par ce vicelard d'auteur croyant bien faire en nous étalant son mauvais goût à la face. À défaut de pouvoir nous en mettre plein les oreilles, Harold cherche à nous en mettre plein les yeux. Je me méfie de ceux qui en appellent au-dessous de la ceinture ; ces derniers s'abaissant généralement à ça du fait qu'ils ne savent pas viser plus haut. Le théorème que je m'apprête à rapporter n'a peut-être qu'une base scientifique douteuse, mais plus un manga verse dans le grivois immature, moins il a de substance consistante à nous faire parvenir. Le eichi, c'est le maquillage putassier des laiderons éditoriaux, quand le fond de teint est si épais, on ne peut que décemment redouter le pire derrière la façade.


Le Japon a un problème d'insécurité sur lequel les nations unies devrait se pencher je l'espère. Car, quand une nouvelle bande de voyous providentiels sortent des fourrées pour péter la guitare à peine réparée et que les bastons s'occasionnent sans arrêt au moindre prétexte, je m'interroge ; le pays du Soleil Levant ne serait-il pas plus dangereux à arpenter que les coupes-gorge du Libéria ? À moins que l'auteur ne force encore et toujours le drame et l'intensité car incapable de le suggérer par une écriture pointue et subtile. C'est aussi une possibilité, voire une certitude.
Il doit bien y avoir autant de règlements de compte que dans Shônan Junaï Gumi. C'est quand même dangereux le monde des arts. On se figure pas comme ça, mais les artistes risquent leur peau à tout instant. Je comprends mieux les airs faussement prostrés de Vincent Delerme maintenant.


À la violence stupide - qui s'effacera peu à peu de l'intrigue - son pendant inévitable ne tardera à pointer le bout de son nez alors que les histoires d'amour gnangnans tapisseront la trame sur un fond de silence pourtant parfois trop bruyant et tapageur. Beck a tout du manga pour adolescent et ne manque pas de reléguer ledit adolescent à tous les stéréotypes qui lui collent injustement à la peau. Vous savez monsieur Sakuishi, il existe des jeunes qui ne sont pas abrutis et ont une plus haute opinion d'eux-même que vous n'en avez d'eux ou de leur inqualifiable représentation caricaturale étalée tout au long de votre manga. Intéressez-vous à eux, ils ont plus à raconter que trois accords sur une guitare et leurs errements romantiques.


Poncifs et clichés se relaient inlassablement jusqu'à nous jouer la prévisible partition dramatique - encore - du groupe qui se sépare quelques temps à peine après que Yukio ne l'ait rejoint. Il y'a ici un côté fuite en avant dans le dramatisme qui en serait presque drôle alors qu'on coche une à une les cases de tout ce qui pourrait se faire de convenu en la matière.
On cherche à maintenir une tension artificielle sans cesse haletante, chaque occasion pour Beck de remporter quelque chose étant pour eux celle de la dernière chance. Le groupe restera constamment menacé par une épée de Damoclès en mousse que l'auteur aura judicieusement placée là pour créer de la panique là où il n'y a pas lieu d'en avoir.


Le drame sous la plume de Sakuishi ne connait aucune limite alors que sa narration assassine Kurt Kob... pardon, Eddie. Car il n'y avait manifestement pas assez de drame créé ex nihilo jusqu'à maintenant entre la course à la popularité et la blessure de Ryûsuke ; il fallait buter un personnage. À poursuivre comme il a entrepris son scénario jusque là, j'attendais de l'auteur qu'il fasse s'écraser un astéroïde sur le Japon à tout instant ; l'astuce se serait alors inscrite dans la droite lignée du dramatisme ambiant à pas cher qui ne s'arrête visiblement jamais.


Bien sûr, nous aurons droit au classique artiste débrayé qui se laisse honteusement aller avec Ryûsuke, saoul comme un Polonais et de l'inénarrable - mais hélas narrée - histoire de déprime amoureuse du personnage principal. Du Rock, l'auteur n'en aura retenu que les gamineries d'usage entourant le fait musical, les ragots de concierge, bref : le dispensable. À tourner autour du pot sans se focaliser sur le sujet central, Beck m'aura rappelé Hikaru no Go.


Pour que le mur des trophées des pires poncifs imaginables soit garni du sol au plafond, il fallait évidemment inclure l'immanquable querelle d'ego avec l'excursion de Chiba dans le rap. Ce n'est plus ici du ressort du prévisible ou du classique mais la juste continuité d'un cahier des charges bien rempli qui enchaîne un à un tous les clichés susceptibles d'être accolés au genre. Pour qui aura été friand des ragots autour de la mort de Cliff Burton ou la séparation des Guns n Roses, vous aurez peut-être ici de quoi vous régaler. Pour ce qui est des autres, soignez vos yeux, car à force de les faire rouler dans leurs orbites, vous risquez de les user jusqu'à la cécité ; ce qui serait un comble quand on sait que l'on n'a déjà pas droit à la musique.


Et tous ces drames dignes des dernières gamineries s'occasionneront alors que Beck n'aura pourtant qu'un modeste succès. On attend en principe d'avoir atteint une stature internationale avant de se permettre de déconner ; l'hubris présuppose la grandeur. Les engueulades et jérémiades de Beck ne tiennent qu'à l'orgueil d'individus médiocres que la narration cherche néanmoins à nous présenter comme de braves types.
Toujours plus haut, toujours plus loin, toujours plus con, l'hélicoptère de Matt et l'arrivée de Yukio seront la cerise sur le gâteau d'une démesure artificiellement houleuse. Que de la mise en scène, que de la gueule et pas une note de musique : Beck.


Laborieuse fut l'entrée en matière qui aura lambiné avant de formuler son propos ; la conclusion sera aussi confuse et indécise. Il faut bien finir quelque part j'imagine, mais quelque part ne signifie pas n'importe où.
«Ma vie est meilleure maintenant que je suis une vedette. Fin». On s'en serait douté, oui. Mais puisque le chemin de croix n'était manifestement pas assez long, Harold Sakuishi se permet de lui rajouter une étape en nous narrant les aventure de Eddie «Jesus Christ» Lee ayant troqué les clous pour la douille. Le pathos et la mièvrerie en seront si sirupeux que j'en ai encore les doigts qui collent et les yeux plus secs que jamais.


Qu'aura été Beck au final si ce n'est le squelette d'un Nekketsu classique auquel on aurait greffé des organes apparemment différents ? Du héros parti de rien pour atteindre le sommet jusqu'aux démesures délirantes et inhérentes à la fin de règne du manga, tout y sera passé. Tout, sauf le bon goût et la décence. Moi qui n'aime déjà pas les poseurs en règle générale ne me suis que trop agacé à devoir subir leurs effronteries de mômes mal élevés.
L'artiste, de nos jours, est le plus souvent une tête à claque dont seule la composition le garde du lynchage. On pardonne tout à qui sait habilement manier la plume, le pinceau, la caméra, le sabre ou la guitare. Mais une guitare incapable de produire le moindre son n'aura su ici justifier la moindre amnistie. Privé de la sonorité qu'on associe - peut être abusivement - au monde de la musique, ce qu'il en reste épargne les oreilles pour ternir le regard.

Josselin-B
3
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le 26 juin 2020

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Josselin Bigaut

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