Il y a des BD qui se lisent, et d’autres qui s’impriment en nous. Petits Coups, le second tome de Hawkeye signé Matt Fraction et magnifiquement illustré par David Aja, Francesco Francavilla, Steve Lieber et Jesse Hamm, fait indiscutablement partie de la deuxième catégorie. J’ai adoré ce volume, au point de lui accorder un 9/10 sans hésiter, tant il incarne ce que le comics peut offrir de plus audacieux, de plus humain et de plus sincère.
Dès les premières pages, Fraction impose un ton unique : un mélange d’ironie, de tendresse et de quotidienneté qui donne à Clint Barton une profondeur rarement atteinte dans les récits de super-héros. Ce n’est pas tant le justicier qui nous captive ici, mais l’homme : faillible, solitaire, parfois paumé… mais toujours profondément humain. Le découpage narratif non linéaire, parfois chaotique, est un pari audacieux qui paye. On se laisse volontiers emporter dans ce puzzle de scènes, de flashbacks et d’épisodes en apparence anecdotiques, mais toujours signifiants.
Si le changement régulier de dessinateur aurait pu nuire à l’unité visuelle de l’œuvre, c’est tout le contraire qui se produit ici. David Aja brille toujours par son minimalisme élégant et son sens du rythme, mais les interventions de Francavilla, Lieber et Hamm apportent des teintes narratives précieuses, en phase avec le ton de chaque épisode. Chaque style sert le récit, jamais l’inverse. L’épisode vu du point de vue du chien, par exemple, est un petit chef-d’œuvre d’audace formelle et d’intelligence émotionnelle.
L’humour sec et décalé de Clint, les dialogues vifs et naturels, les silences éloquents : tout sonne juste. Fraction parvient à capturer l’essence de son personnage sans jamais sombrer dans la caricature. C’est un Hawkeye qui doute, qui aime, qui perd, qui se relève. Il est l’homme ordinaire perdu dans un monde extraordinaire, et c’est cette dissonance qui le rend si attachant.
La perfection n’existe pas, même pour un tireur d’élite. Quelques passages m’ont paru légèrement en deçà, notamment dans la fluidité entre certains épisodes. Le rythme peut parfois désarçonner, et il faut accepter de se perdre un peu pour mieux savourer l’ensemble. Mais c’est un choix narratif assumé, et dans ce contexte, presque une force.
Petits Coups est un bijou de sensibilité masqué derrière un humour pince-sans-rire et une esthétique graphique ciselée. C’est une œuvre qui parle de solitude, de liens, de résilience — et qui le fait avec style. On en ressort touché, surpris, souvent ému, et toujours impressionné. Si les super-héros ne vous intéressent pas, Hawkeye pourrait bien vous faire changer d’avis. Et si vous les aimez déjà… alors préparez-vous à découvrir une autre manière de les aimer.