Un Survival tout à fait honorable

Je pense que pour apprécier ce film, il faut le prendre pour ce qu'il est : un simple survival tout à fait efficace et qui n'a nullement l'ambition de réinventer le film historique sur la 1ère guerre mondiale.

D'ailleurs est-ce souhaitable ? Si Sam Mendes avait voulu refaire "Les Sentiers de la gloire" à sa sauce, franchement on se serait pas foutu de sa gueule dans les grandes largeurs ? Il n'a absolument aucune chance de rivaliser.

Quand on a un modèle absolument parfait qui a marqué les esprits, qu'est-ce que tu veux faire ?
C'était d'ailleurs déjà un sujet de Mendes dans "Jarhead". En pleine guerre du golfe, les personnages se faisaient des séances d'"Apocalypse Now", et la musique de Richard Wagner pouvait décoller tranquillement des baffles, comme pour signifier que tout avait déjà été dit sur les guerres en mieux et en plus épique. Cette guerre-là n'était qu'une énième redite informe n'apportant rien d'autre que de l'ennui et une perte complète de temps.

Dans cette perspective, reprocher à 1917 de ne pas être historiquement fidèle, précis, rigoureux, logique, cohérent, c'est un contresens. Ca ne peut pas être son projet.

C'est juste un spectacle, un divertissement très simple, très grisant, avec des personnages certes totalement creux, qui pourrait être une attraction à sensations fortes au Parc Astérix.

Dans cette représentation de la première guerre mondiale, qui ressemble à de la seconde, j'ai même l'impression de me retrouver dans un parc de Westworld où les américains réimaginent à leur sauce un peu épaisse cette guerre avec leur mauvais goût caractéristique.

Y a un paradoxe rigolo, c'est que le plan-séquence contribue à artificialiser le film (alors qu'on pourrait croire le contraire) - En suivant les personnages sans plan de coupe (apparent), on réalise encore plus facilement que l'enchaînement des décors est totalement improbable :

Du paysage tranquille et bucolique, aux tranchées boueuses, au no man's land barbelé, pour dériver dans de grandes étendues vertes sans personne à l'horizon, jusqu'au village en ruine sous le feu, et quelques camions de soldats alliés qui passaient dans le coin entre deux rivières, une cascade et un souterrain bourré d'explosifs... Ca n'a aucun sens, et c'est ça qui est drôle, et même quelque part poétique (très jolie épanadiplose à propos).

Et puis ce décor de ville en flammes, quand même assez superbe, avec ces effets de lumières et d'ombres spectaculaires, produits par les fumigènes qui dérivent dans le ciel, évoque effectivement une imagerie que l'on peut retrouver dans "les Croix de bois" de Raymond Bernard. On est en plein dans l'artifice, dans une atmosphère irréelle, cauchemardesque.

Ce qui me plaît là-dedans, c'est que le plan-séquence n'est pas utilisé pour faire "vrai", mais au contraire pour renforcer l'artifice, pour l'assumer pleinement. Nous sommes dans une attraction de fête foraine, et on est là pour en prendre plein les yeux - c'est un peu aussi l'objet du cinéma.

J'avais pas du tout aimé le plan-séquence de "Birdman", et je trouvais qu'il ne fonctionnait pas du tout pour une raison assez précise : "Birdman" était un film lourd, pesant, ampoulé, faussement complexe, avec des intrigues et des sous-intrigues qui se multipliaient. Le plan-séquence constituait une lourdeur supplémentaire qui cassait un rythme déjà à bout de souffle.

Et mon point de vue n'a pas évolué, les plans-séquences, ou tout dispositif complexe impliquent en contrepartie un univers simple et lisible (c'est d'ailleurs pour ça que les plans-séquences de Kalatozov dans Soy Cuba, sont les meilleurs du monde, puisque ce qui est dépeint est très facile à appréhender et à comprendre. Le plan-séquence est très puissant parce que l'on comprend à chaque instant où l'on est et ce que l'on voit, l'immersion est donc totale).

Je trouve qu'on a un survival très prenant, très réussi, pas exempt de défauts, le héros a un peu un charisme d'endive... C'est vrai qu'on a parfois une esthétique de jeu vidéo pas très heureuse (je pense notamment à des scènes de courses-poursuites dans la ville en flammes avec des travellings pas du tout naturels où on se rapproche de coyotte et de bip bip... Mais on n'est pas non plus au niveau de mauvais goût de "Gravity" où parfois on se croyait carrément dans Mario Galaxy).

Y a quand même une forme d'hypocrisie lorsqu'on casse ce film parce qu'il ne serait pas historique et qu'il ne sonnerait pas juste - ce qui ne peut pas être son projet ,et que dans le même temps on loue Mad Max Fury Road qui fonctionne sur un principe similaire en étant beaucoup plus laborieux et mal foutu