Si les plans séquence de 1917 mettent les personnages et leurs actions au centre de l'écran, ils se distinguent néanmoins par leur traitement de l'espace — ou plutôt des espaces, et de ce qui les lie entre eux. On pourrait en un sens dire que le dispositif établit une sorte de topographie, support au déroulement du récit (analogue à la quête des protagonistes).
Ainsi le parcours des deux personnages est conditionné par la présence de nombreux obstacles : trous d'obus, sous-terrain piégé, pont détruit, barbelés, etc ; de fait l'espace, loin de n'être qu'un décors, influe directement le déroulement du récit, et les interactions qu'il impose aux personnages constituent à la fois les étapes et les enjeux de leur traversée.
Mais cet espace n'est pas pour autant figé : lors de la première séquence, la caméra, suivant la marche des personnages de face laisse voir derrière eux la mutation de leur environnement : du champ verdoyant, on passe au campement au sol boueux, puis on plonge dans les tranchées : plus tard, la caméra passe dans le dos des protagonistes et monte à leur suite hors des tranchées pour révéler devant eux un horizon dévasté qui ne semble pas devoir finir. Dès les premiers instants le constat est clair : la guerre ne prend pas place — comme on aurait tendance à l'imaginer — dans un espace indépendant, loin de toute civilisation : elle parasite et contamine, se répand dans des lieux qui ne lui sont pas destinés. Mais c'est aussi ce qui permet à certains échos d'une vie passée d'en surgir : des cerisiers coupés mais encore fleuris — et qui ,au dire de Tom, repousseront —, ou encore le moment de trêve avec une femme et un enfant dans la ville en flammes. Il n'y a donc pas de séparation claire entre les lieux qui seraient touchés par la guerre et les autres ; il n'y a pas d'espace isolé, mais un réseau d'espaces poreux, susceptibles à tout moment de déborder l'un sur l'autre : lors de la scène de la rivière, la chute d'une cascade est l’occasion d'une scène bucolique (des cerisiers, encore une fois) qui débouche pourtant sur un barrage de cadavres parmi lesquels il faut nager*.
Malheureusement cette dynamique ne tiens plus que partiellement dès lors que le film, dans une tentative d'infuser plus d'urgence au cours du récit, se met à multiplier les incidents et les courses poursuites dont le protagoniste — désormais seul "héros" — réchappe toujours miraculeusement, réduisant presque quasiment la narration en une suite d'exploits dont l'enchaînement effréné achève de mettre à mal notre crédulité. (« Ça faisait un peu jeu vidéo. » a dit ma mère, pour l'anecdote personnelle).
Si le mouvement parvenait lors de la première partie de l’œuvre à rendre tangible le lien entre le déplacement et la durée**, la suite est malmenée par une suite d'épisodes dont le seul lien est celui d'amener Will d'une épreuve à l'autre, et de même l'espace est ainsi relégué au second plan, comme support performatif à ses prouesses.
Reste tout de même la performance de l'acteur, dont l'épuisement porté jusqu'à son extrême limite peut faire penser (en forçant un peu le trait) à celle de Casey Affleck et Matt Damon dans Gerry de Gus Van Sant. Dommage que cela se limite qu'en grande partie à l'éloge d'une bravoure idéalisée.
- Pour étayer cette idée d'un espace donné comme évolutif et changeant, on peut se remémorer la séquence des ruines sous les fusées éclairantes, occasionnant des jeux de lumière et d'ombre pour l'une des scènes les plus réussies du film.
** Notamment par les variations d'angles, en filmant l'avancée de face pour mettre en emphase les lieux quittés, par derrière pour la destination, ou de côté lorsqu'il s'agit d'un obstacle ou d'une barrière à franchir.