Le centenaire de la Grande Guerre n’aura guère déchainé les passions. Les poilus et les charges à la baïonnette ne vendent pas, c’est un fait.
Nous sommes en avril 1917. Les forces allemandes opèrent un repli tactique sur la ligne Hindenburg. Agréablement surpris, les Anglais se lancent à leur poursuite. Des reconnaissances aériennes dévoilent le piège. Un général envoie deux estafettes – les caporaux Blake (Dean-Charles Chapman) et Schofield (George MacKay) – prévenir un régiment anglais du piège. Ils auront à sortir des lignes et à traverser les tranchées adverses, le tout en moins de 12 heures. Pour ajouter une pointe de pathos, le frère aîné de Blake sert dans l’unité en péril.
Après deux blockbusters réussis, l’ambitieux Sam Mendes entend montrer son habilité. Le long plan séquence de l’ouverture de Spectre était bluffant, il entend faire mieux : un film en un unique plan.
Avouons que les images sont somptueuses, les décors et les uniformes parfaits. La longue traversée dans la boue mêlée aux corps du no man’s land est inoubliable. Jusqu’ici, seuls les dessins d’Otto Dix étaient parvenus à visualiser l’indicible, les cadavres pris dans la boue, les rats et les corbeaux, les corps putréfiés et incomplets… Il ne manque que l’odeur, suggérée par les nuées de mouches.
Les romans À l’Ouest rien de nouveau, Le Feu ou Orages d’acier décrivaient d’interminables pilonnages de l’artillerie, de l’attente et des assauts. Des éclats d’acier, de la boue, du sang et de l’eau croupie. La Somme de Mendes est nettement plus variée, peu d’obus, de la boue, mais pas trop, des tranchées allemandes vides, une campagne intacte, un village en flammes, une rivière en crue, une forêt préservée. Ses héros sont attachants. Leurs yeux parviennent à exprimer la fatigue, l’épuisement et les hallucinations. Le frère exprime bien la souffrance virile et muette. Mendes se fait consensuel : ses généraux sont professionnels et soucieux d’éviter des pertes inutiles ; le geste assassin du pilote teuton peut être imputé à la souffrance. La guerre reste relativement belle. Trop peut-être
Le spectateur reste sur sa faim. La musique est anxiogène, mais ses orchestrations froides et ses sonorités lancinantes manquent de discrétion. Les soldats sont trop jeunes, trop bien nourris, trop propres, trop bien rasés. Les cadavres sont plus réalistes. Pis, la mécanique du plan séquence peine à convaincre, les seconds rôles sont juste esquissés, le temps d’une image, avant de disparaitre. Elle empêche tout retour en arrière, interdit tout regard extérieur. La grande œuvre de Mendes se referme sur le destin de Blake et Schofield. La Grande guerre disparait, cédant la place à l’anecdote. Schofield est blessé. Assommé, rêve-t-il de la jeune et improbable fille, la ville brûle…
L’interprétation de The Wayfaring Stranger par Jos Slovick est surnaturelle de beauté. La guerre est définitivement oubliée.