Impeccable dans la forme... mais pas dans le fond.

Crimson Peak de Guillermo Del Toro, ou plutôt l’une de mes plus grosses attentes personnelles de l’année 2015.


Très sincèrement, si on me demandait de faire un top 10 des films que j’attendais cette année, celui-ci en ferait facilement parti tant j’espérais, au vu des affiches, du casting, et même de la bande-annonce, une nouvelle claque de la part de Del Toro. A tel point que je soutiens et croise les doigts pour voir plusieurs de ses projets reprendre cours, mais actuellement laissés en stand-by comme Hellboy 3, Les montagnes Hallucinées ou Pacific Rim 2 dernièrement.


Sans être dans mes préférés, Guillermo Del Toro a su me surprendre de film en film, que ça soit l’adaptation de Comics, le mixage entre deux genres (opposés ou non), ou des éléments qui caractérisent son cinéma : sa fascination pour les monstres, un penchant pour les insectes, des bocaux ou récipient à substances douteuses, et parfois le thème de l’enfant. Sa plus belle œuvre étant sans doute Le Labyrinthe de Pan qui m’a ému comme rarement, Del Toro a accumulé une petite filmographie au cours duquel il a su trouver un style dans la forme avec la réalisation et les éléments propres à son cinéma.


Et encore une fois, j’y croyais dure comme fer, le visuel et le manoir présent dans la BA donnaient envie de baver. Sauf que je suis ressorti de la séance avec une frustration que j’éprouve rarement après un film. Globalement y’a rien d’abominable à dire, mais c’est un triste gâchis auquel j’ai personnellement assisté.



Quand Alice rencontre Loki et Murphy Cooper.



Parlons-en tout de suite avec le casting en commençant par nos trois acteurs principaux : Alice, Loki et Murphy Cooper… oups pardon, je voulais dire Mia Wasikowska, Tom Hiddleston et Jessica Chastain. Je parlerais d’abord de Wasikowska étant donné qu’elle rejouera le rôle d’Alice dans une suite prévu par Disney. Et que les seuls films ou j’ai pu la voir sont justement la réadaptation du classique ou elle était médiocre, Les insurgés pour un rôle tertiaire, Jane Eyre et Des hommes sans loi ou elle s’en sortait bien sans resplendir. Heureusement, mes inquiétudes concernant ses talents d’actrice ont vite été dissoute tant elle m’a paru investie et appliquée de la première à la dernière minute. La pâleur de l’actrice s’accorde ici très bien avec le personnage d’Edith Cushing, pas désagréable à suivre du tout mais le problème vient justement du personnage qui avait un gros potentiel de départ et qui semblait être doté du pouvoir de voir les fantômes mais qui est final incroyablement délaissé et sous-exploité pour en faire une énième héroïne angélique et dramatique de fiction, hésitant entre son ami d’enfance et, bien sur, un aristo qui débarque un peu de nulle part… je vous laisse deviner qui elle choisira.
Parlons d’ailleurs de Tom Hiddleston, notre bon vieux Loki de chez Marvel. J’en attendais beaucoup et j’ai pas eu de déception pour sa performance d’acteur, ça fait du bien de voir qu’il est capable d’être très convaincant dans d’autres rôles que le frère de Thor. Sauf que, on revient au même problème, son personnage a déjà été fait, pire encore, il devient très facilement décelable dés les 15 premières minutes du film….. ça en devient affreusement navrant quand on voit que l’acteur n’y met aucune mauvaise volonté, mais là ou Benicio Del Toro avait été bien garni dans Sicario, Tom Hiddleston n’a pas la même chance, mais il remplit très bien son contrat, j’aimerais même le voir tenter d’autres rôles que dans l’écurie Marvel.
Concernant Jessica Chastain, là encore, rien de mal à dire concernant son jeu, elle s’en sort très bien et j'ai hâte de la voir à l'oeuvre dans Seul sur Mars, mais des trois personnages que l’on suit pendant tout le film, c’est celle que j’ai trouvé le plus tristement cliché et même ridicule


tant j’arrêtais pas de me faire l’image de la folle dingue psychopathe en retenue et assoiffée de haine prête à traiter Edith de pétasse dans une colère noire et sans contenance pour lui faire signer la paperasse de transferts d’héritage ou parce qu’elle a couché avec son frère.


Pensez que je suis dingue mais, c’est vraiment l’image que je me fais du personnage après le visionnage.
Pour le reste du casting, on a Charling Hunnam qui, encore une fois, livre une bonne performance mais interprète un personnage classique et qui aurait mérité à gagner en développement. Doug Jones, collaborateur fidèle de Del Toro, joue un rôle trop tertiaire pour qu’on s’en souvienne, Jim Beaver joue un père méfiant comme n’importe quel père condescendant qu’on aurait vu autre part, Born Gorman et Leslie Hope n’apportent pas grand-chose eux non plus sans être mauvais. En gros, d’excellents comédiens, surtout le trio de tête mais les personnages constituent la première grosse faiblesse du film.



D'une beauté artistique mélancoliquement épatante.



A la musique, c’était à Fernando Velázquez de faire ses preuves, un compositeur sans grande réputation que l’on a vu à l’œuvre dans l’Hercule de Ratner (cela se passe de commentaire). Mais très honnêtement, sans être horrible à entendre, il fait juste le strict minimum, ça a déjà été entendu dans plusieurs autres films fantastique et d’épouvante tant ça manque de recherche, c’est clairement pas ici qu’il va lancer sa carrière.


Par contre, si il y a un point sur lequel je suis amplement d’accord avec l’avis général, c’est sur le visuel du film et la réalisation de Guillermo Del Toro. C’est même ce qui est le plus maîtrisé et peaufiné, la forme : comme dans la plupart de ses films, la caméra de Del Toro est constamment en mouvement la plupart du temps et l’on retrouve les transitions d’un lieu à un autre lorsque la caméra passe sur un objet recouvrant tout l’écran pour directement atterrir à la scène qui suit, ainsi que des fondus en noir avec une forme ovale se refermant sur un objectif à l’écran que l’on avait déjà aperçu dans Le Labyrinthe de Pan.
Mais bien sur, ce que je retiendrais très longtemps comme beaucoup de monde : c’est le fameux manoir, surnommé Crimson Peak (eh, le nom du film doit bien avoir une justification non ?). Dés la première scène ou l’on rentre à l’intérieur aux côtés de Charles et Edith, la caméra fait un mouvement latéral pour laisser découvrir tout un intérieur délabré mais vaste et pourtant magnifique à l’œil tant sur les choix des couleurs que sur l’architecture baroque et le centre du hall d’entrée couvert de neige et de morceau de fissure.


Les cadres et les plans sont très précis la plupart du temps et aident à faire ressentir une forte fascination pour ces lieux complètement désertés et hostiles digne d’un film d’épouvante, Del Toro en profite d’ailleurs pour y installer son fétichisme des insectes avec cette fameuse pièce ou des papillons sont accrochés au mur et semblent encore vivant, rendant tout cela plus étrange mais aussi terriblement beau à voir, ainsi que les sous-sols de la maison qui, je trouve, est la partie la plus belle à voir avec la neige tombant sur les couvercle de cuve d’argile


refermant de bien vilain secret,


personnellement je m’en délecte encore. La photographie aide à renforcer cette impression, terne et qui donne une impression de tragédie très particulière aux couleurs du manoir,


et que dire du final ? C’est même sans doute la partie la plus prenante visuellement parlant de Crimson Peak, tant par l’ambiance et le contraste entre le rouge argile proche de l’écarlate que le duel final entre Edith et Lucille.


Notez aussi que les trucages visuels et les effets spéciaux pour les fantômes sont très soignés, leurs apparitions sont rares mais à chaque fois on y croit à leur existence, Del Toro croyant constamment au fantastique qu’il filme dans chacun de ses films.



C'est super beau oui... mais l'histoire alors ?



Et enfin évidemment, quoi de mieux que faire resplendir ce joli spectacle qu’avec un script solide et palpitant ? Ben eeeh… désolé mais ça n’y est pas du tout. Et je vais être franc et directe : le scénario n’a rien d’original pour lui et se révèle complètement prévisible une fois les 15 premières minutes du film passé. J’arrive pas à croire que je dise ça, mais pourtant c’est vrai. Pour preuve, si vous demandez à un ami de vous résumer brièvement l’histoire du film, il vous dira très certainement, à peu :


oh et bien, c’est l’histoire d’une femme écrivaine qui a un ami d’enfance mais tombe amoureuse d’un aristo pas net avec une sœur frappadingue qui sont en réalité des tueurs de sang froid, mais dont le frère finit par tomber amoureux de l’écrivaine.


Pourtant, ça ne partait pas si mal au départ,


la mélodie chantée par une voix d’enfant quand les logos d'Universal et Legendary Pictures apparaissent, le plan de Edith dans un nuage de neige et d’argile rouge puis, enfin, l’apparition du fantôme de sa mère,


ça partait bien pour être une histoire d’horreur juxtaposant le film d’époque sur fond de drame romantique. Seulement, dés la mise en place et les expositions des personnages, aussi bien faites soient-elles, on a un tableau déjà établi dans d’autres œuvres de fiction malgré la tentative de donner de la dimension aux personnages, notamment d’Edith et de Charles. Le pire c’est le personnage de Lucille qui en devient sans saveur et oubliable


tant le peu d’apparition qu’elle effectue suffit à faire d’elle la grande antagoniste qu’on est censé découvrir en fin de film.


Et Del Toro a beau utiliser des effets de mise en scène et de visuelle très convaincant, ça ne cache pas la maigreur des personnages.


De plus, on retrouve ce que Del Toro aime effectuer dans plusieurs de ses films : mixer deux genres entre eux, comme le drame historique ou le conte fantastique dans Le Labyrinthe de Pan et L’échine du Diable, ici c’est le film d’époque associé au film d’horreur fantastique. Mais malheureusement, cette juxtaposition n’amène rien et apporte même des faiblesses scénaristiques gênantes :


rien qu’avec le fantôme de la mère d’Edith qui lui dit, une première fois enfant et une deuxième fois adulte :




Prend garde… à Crimson Peak !




Comment connait-elle Crimson Peak ? Et surtout, pourquoi elle ne lui dit qu’à deux reprises ?


Elle apparaît carrément dans la bande-annonce et au final elle ne sert presque à rien malgré sa mise en garde.


Le problème est le même avec tout les fantômes du film, ils doivent n’apparaître que 7 ou 8 fois au total sur deux heures. Et bien que le réalisateur ait soigné leurs apparitions, le problème est ici semblable à celle de L’échine du Diable : ils ne servent pas à grand-chose,


sauf peut être le fantôme de Charles dans le climax, mais même là c’est minimaliste.


Alors tant qu’à mêler une histoire avec des fantômes dans le film d’époque : pourquoi ne pas avoir fait d’Edith une romancière, non pas effrayée, mais fascinée par les fantômes et tisser des liens entre elle et le fantôme de sa mère, voire même avec les fantômes du manoir pour leur donner une consistance ironique avec leur apparence opaque ? Cela aurait apporté un côté étrange mais qui aurait été la bienvenue et ça aurait offert plusieurs voies possibles pour le récit, notamment dans le développement des personnages.


Parce que dans le cas actuel, les idées de départ sont délaissées pour laisser place à un visuel, certes absolument magnifique à l’œil, mais ça ne comble pas l’absence des fantômes et la promesse non tenue. Cette promesse, présente grâce à cette seule phrase de Charles présente dans la bande-annonce :



Là d’où je viens, on ne prend pas les fantômes à la légère.



C’est tout l’intérêt du film, mais au final ça y est à peine. Et même dans le classique, il y a des failles :


déjà, comment Lucille a pu aller buter le père d’Edith sans se faire voir alors qu’il y a ses valets qui sont sorti et que visiblement il n’y a qu’un seul accès à la pièce ??? D’ailleurs, pourquoi empoisonner petit à petit Edith avec le thé avant qu’elle ne signe l’acte de transmission d’héritage de son père, au lieu de l’abattre d’un seul coup une fois la signature assignée ??? De plus, si Lucille ne veut laisser aucun témoin après la signature de l’acte, lorsqu’elle poursuit Edith aux sous-sols, pourquoi elle n’en profite pas pour abattre le docteur Alan déjà grièvement blessé ???


Et pour ceux qui ont adoré le film (tant mieux pour vous d’ailleurs), vous serez peut être tenté de me dire : oui mais ce film, c’est un petit peu comme Cendrillon ou Code U.N.C.L.E sorti cette année, classique dans le fond mais très efficace dans la forme.
Sauf que dans ces deux films sont des adaptations, la première du classique Disney du même nom et apportant des éléments corrigeant les défauts du classique, et Code U.N.C.L.E avait l’excuse d’être une adaptation d’une vieille série d’espionnage. Là, ce film ne s’inspire d’aucune œuvre particulière, il est vendu comme un film original donc non ! Désolé Guillermo mais tu n’as pas d’excuse à mes yeux.



Plutôt bon mais insuffisamment exploité.



C’est à peu près tout ce que j’avais à dire : si Crimson Peak est diablement efficace dans la forme, elle est terriblement bancal dans le fond. Et même si j’adore le visuel, les comédiens et la direction artistique, ça ne me suffit pas. Cela dit, si vous aimez ces éléments, vous devriez passer un bon moment, mais on ne tient pas là le film le plus maîtrisé de Guillermo Del Toro. Un assez bon film mais une déception.

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le 19 oct. 2015

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