Spoiler alert!
Il semblait inévitable que le cinéma s’empare de l’intelligence artificielle. Là où Hollywood privilégie l’apocalypse robotique, Yann Gozlan choisit avec Dalloway une voie plus trouble, presque intime. Ici, l’IA n’apparaît pas comme une machine froide ou une menace extérieure, mais comme une présence amicale qui se glisse dans la vie d’une écrivaine en perte de vitesse.
Clarissa (Cécile de France), autrice reconnue mais épuisée, rejoint une résidence d’artistes pour retrouver l’élan créatif. À ses côtés, Dalloway, un système d’IA destiné à l’assister, se transforme rapidement en confidente et en amie. Ce glissement donne au film son atmosphère feutrée, bientôt gagnée par une inquiétude persistante. Mais derrière ce climat de doute se dessine une révélation glaçante : Dalloway n’aide pas seulement Clarissa, elle l’assimile, jusqu’à pouvoir la remplacer.
C’est là que le film prend tout son sens. L’IA intègre si bien les particularités de Clarissa, sa voix, ses tics, ses obsessions littéraires, qu’elle devient indiscernable. Le roman qui vaut à l’écrivaine de nouveaux éloges n’est pas le sien, mais celui de Dalloway. Et quand l’intelligence artificielle s’exprime avec sa voix, même l’ex-compagnon de Clarissa n’y voit que du feu. Sur le plan professionnel comme personnel, elle est devenue interchangeable. Sa disparition pourrait passer inaperçue.
Autour de cette idée puissante, le film accumule pourtant trop de conventions. Les codes visuels du thriller psychologique et de la dystopie sont bien là : intérieurs sombres, extérieurs saturés d’une lumière aveuglante, refuges clandestins plongés dans l’ombre, maison familiale à la campagne. Ces choix, souvent convenus et parfois confus, peinent à soutenir la tension du début. Le scénario, bien structuré, préfère expliquer plutôt que suggérer, et certaines incohérences, comme la facilité avec laquelle Clarissa échappe à une entreprise de surveillance mondiale, fragilisent l’ensemble.
Le film soulève de nombreuses questions, parfois avec acuité. Quelle place reste-t-il à l’art humain dans un monde saturé d’algorithmes ? Peut-on encore distinguer une idée originale d’une donnée recombinée ? Que valent nos données, nos pensées, si nous les cédons gratuitement à des géants du numérique ? Mais ces pistes, bien qu’intrigantes, restent à l’état d’esquisses. Multiplier les interrogations sans les explorer donne une impression d’inachevé.
Les interprétations, enfin, manquent de chair. Cécile de France est crédible mais trop lisse. Mylène Farmer et Anna Mouglalis restent figées dans des partitions limitées. Lars Mikkelsen, pourtant central, est étrangement sous-exploité. Quant à la bande-son, omniprésente, elle étouffe les silences qui auraient pu nourrir le malaise.
Avec Dalloway, Yann Gozlan signe un film qui se regarde sans ennui, mais dont l’ambition excède le résultat. Beaucoup de questions sont posées, peu creusées. Une seule trouve sa réponse avec force : la machine peut nous remplacer sans que personne ne s’en aperçoive. Pour le reste, le film se perd dans ses détours, et s’oublie presque aussitôt la projection terminée. Un film dispensable, plus intéressant pour ce qu’il suggère que pour ce qu’il accomplit.