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Après s'être attaqué à l'adaptation de Pinocchio, il était somme toute naturel pour Guillermo Del toro de s'attaquer ensuite au mythe de Frankenstein. Deux récits ayant marqué profondément son enfance. Deux récits de « père » face à sa création. Deux récits, aussi, en creux, sur la condition de l'artiste et de ce qu'il laisse au monde et comme empreinte d'éternité.


Sauf que contrairement à Gepetto, Victor crée par pure vanité, sans se soucier des conséquences de ses actes et emporté par ces derniers ainsi que par son hubris tentant de soulager ses blessures d'enfance. Rejoignant instantanément la propre destruction de Stanton Carlisle dans Nightmare Alley.


Et déjà, pour Guillermo Del Toro, de convoquer son imaginaire spectaculaire le temps d'un tribunal déontologique médical et de donner un semblant de vie à un demi-homme cloué que l'on exhibe comme un monstre de foire. Puis d'investir une vaste demeure-laboratoire similaire à celle de Crimson Peak et de la baigner du même sentiment de romantisme, appuyé par les irruptions à l'image de la superbe présence de Mia Goth en forme de ponctuation.


Une demeure en forme de cabinet de curiosités, recelant nombres d'anatomies et de corps blanc ivoire, rappelant dans leur pureté la mère du docteur et son cercueil finement ciselé, ou encore la statuette anatomique de l'enfance de Victor. Abritant les recherches, la fièvre, les tâtonnements et le génie dévoyé de l'artiste au travail, ses dissections et son expérience mal maitrisée donnant naissance non pas à un véritable monstre, mais à un être étrangement attirant, sculptural comme issu du marbre, filiforme et d'abord innocent de son environnement. Plus qu'un assemblage disparate, il semble émaner de cette créature une sorte d'harmonie géométrique diaphane, aux antipodes du monstre horrifique et caverneux ayant marqué l'imaginaire collectif cinématographique.


Jusqu'à ce que Del Toro filme l'explosion de son chaos et de ses émotions, le docteur halluciné sombrant dans une profonde dépression devant le vide de sa création, sa bête malmenée qui s'enfuit, l'enfant qui déçoit amèrement son père, comme un écho du début de l'oeuvre. La césure est nette, inattendue, tellement on était loin de penser que Guillermo s'aventure avec son Frankenstein sur le terrain d'un merveilleux conte de fées, instant fugace de candeur à l'échelle du film . Jusqu'à ce que Del Toro ramène sa créature à la réalité de la violence du monde et de sa condition de monstre, véritable enfant bizarre d'un ossuaire, ersatz de vie incomplète rêvant au repos.


Frankenstein vu par Guillermo Del Toro s'impose comme une fable qui se transmet de bouche en bouche, qui se complète par les points de vue du père et du fils, tout comme les regards portés sur la créature par un vieillard aveugle et une jeune fille attirée par l'entomologie et trouvant comme le reflet d'un miroir dans la condition de la création du docteur.


Comme d'habitude chez Guillermo, la circulation des couleurs, leur signifiance et son romantisme fou s'en donnent à cœur joie dans Frankenstein. Toujours aussi sincère et doué d'une empathie désarmante qui arrache le cœur, il éclabousse l'écran de son amour transi pour l'histoire originale, tandis qu'un certain « merveilleux » tourne peu à peu à l'horreur, à mesure que la créature se confronte au monde.


Il n'est pas interdit de trouver en ce nouveau Frankenstein un lointain cousin du King Kong que réalisait Peter Jackson en 2005, avec le même sentiment d'empathie pour une créature perdue d'avance tant elle est « arrachée » par l'homme, mais surtout, le même enthousiasme d'un artiste mettant à profit chaque dollar de son budget mirifique dans une œuvre éminemment personnelle et intime.


Behind_the_Mask, qui s'est réservé les meilleurs morceaux.

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