ça commence comme un cauchemar. Ou plus exactement : comme un bout de péloche fauché, aux effets appuyés, d'une ostensible maladresse, pour tenter de masquer les manques et les trous du budget. Oh, bien sûr, c'est indiscutable, il y a un foutu talent là-dedans, tous les filtres et montages clipesques du monde ne sauraient l'éclipser. Mais de quoi tenir ses une-heure-quarante ? Dubitatif, on s'interroge. Et tandis que l'on s'interroge, à notre insu, les choses s'installent, le temps s'emballe, une cause entraîne une conséquence, qui en entraîne une autre, un billet, un bouquet, un, deux, trois, quatre et sans trop s'en rendre compte, sur un tour de passe-passe, pour le meilleur - et rien que le meilleur ! -, on tombe amoureux.
Rien de plus, ni de moins.
Il y a plus d'invention, d'imagination, de magie, d'honnêteté dans cet indépendant réalisé avec trois-francs-six-sous que dans vingt ans de blockbusters et de machines à palmes intellectualisantes (à, heureusement, quelques exceptions près). Aussi onirique que tordu, aussi enchanteur qu'inquiétant, Ink nous rappelle qu'on avait oublié ce qu'était le grand Cinéma, celui des passionnés et des faiseurs d'histoires, de ceux qui ont des contes à dire plutôt qu'un "Je" à sanctifier, celui des Storytellers plutôt que celui des Incubus, des happy few capables de mettre l'univers à l'envers avec un peu de scotch et deux bouts de ficelles, plutôt que celui des cahiers des charges que d'obscurs "spécialistes" imposent pour rassurer les gros-pleins-d'oseille et vendre du cursus universitaire... jusqu'à livrer, en prime et sans surcoût, avec une lumineuse désinvolture, l'une des plus belles séquences qu'il aura été donné de voir - et de vivre ! - ces dernières années, tous médias confondus.
Boudé par les financiers et par les salles obscurs, mais plébiscité par le net, Ink est un film-culte.
Rien de moins, ni de plus.
Ou si, tiens, beaucoup plus, en fait.
Pour nous tous, auteurs comme spectateurs : une leçon.