Avant le rêve américain, le faste, le fric et les stars en pagaille, le cinoche du maître Hitch ne se plie qu'à une seule exigence, celle du plaisir. Plaisir du spectateur, tout d'abord, qui savoure une histoire dont le fond importe peu et la forme danse sur le rythme endiablé de l'aventure ou de la course poursuite. Plaisir, aussi, d'un cinéaste qui s'amuse avec sa caméra et ses inévitables maquettes, ses personnages et ses situations rocambolesques, parsemant çà et là ses petites lubies et son ton moqueur. Young and Innocent est ainsi entièrement dédié à la légèreté ou à la bonne humeur et fait peu de cas du sérieux. À part peut-être pour le suspense, pour lequel notre homme réserve ses plus beaux effets.


L'histoire, classique, renoue avec l'univers truculent de The Thirty Nine Steps : on y retrouve le traditionnel faux coupable et une intrigue policière qui servira de prétexte à l'aventure et au rapprochement amoureux sur fond de campagne anglaise. Après un film à l'atmosphère un peu plus chargée (The Secret agent), la légèreté entraperçue ici est des plus réjouissantes et permet à Hitchcock de laisser libre cours à sa fantaisie ou à ses envies. Il ne faut donc pas s'attendre à une œuvre très ambitieuse mais plutôt à un sympathique patchwork composé du meilleur de son cinéma.


On apprécie alors une mise en scène toujours aussi vive et inventive, qui fait passer, avec peu d'effet, les plus belles émotions. La tension s'installe dès les premières minutes avec simplicité et maestria : la mer devient l'élément naturel qui relie les scènes entre elles avant de les laisser pleinement s'exprimer : aux abords de l'eau on découvre ainsi un meurtre passionnel, un coupable identifiable grâce à son tic (clignements des yeux) et un petit jeunot qui ne mérite que de tomber amoureux et d'avoir la police sur le dos. Tout est dit en une poignée de minutes et la tension va monter crescendo grâce à un rythme savamment entretenu par les ellipses narratives.


Comme ce fut le cas pour The Thirty Nine Steps, le film tire sa force de l'étroite relation entre thriller et aventure. Sans perdre un instant, l'histoire nous balade aux quatre coins d'une campagne britannique délicieusement typique, alternant sans cesse les lieux et les décors afin de renforcer joliment les impressions d'urgence et de chasse à l'homme. Mais si le rythme effréné exalte la dimension aventureuse, c'est lorsqu'il sait prendre son temps que le suspense se fait le plus intense. Deux séquences, notamment, parlent en ce sens : celle de la fête anniversaire où un simple jeu (le colin-maillard) peut se transformer en piège redoutable pour nos jeunes fugitifs. Et puis bien sûr la séquence finale durant laquelle un travelling dantesque, préfigurant celui de Notorious, nous révèle où se cache le coupable (trahi par son tic) avant qu'il ne soit démasqué. Le suspense réside sur le simple fait que le spectateur en sait un peu plus que les personnages ; c'est classique et toujours aussi efficace.


Bien sûr, on pourra toujours regretter les modestes ambitions du film, la mise en scène presque trop pédagogue ou évidente dans sa manière d'amener le sujet ou encore la faible prestance des interprètes, notamment celui du héros dont le nom semble aujourd'hui tombé dans l'oubli. Mais Young and Innocent est surtout un film agréablement fantaisiste avec ces personnages qui passent leur temps à se pourchasser ou à se déguiser, sans oublier cette ironie grinçante dont les forces de l'ordre semblent être les principales victimes.


On se moque, on rit, on jubile, mais surtout on se délecte d'une histoire qui fait la part belle au sentiment amoureux et à la femme notamment. Tout part d'une idée assez simple : en voulant prouver son innocence, la jeune Erica va finir par perdre la sienne, à savoir sa candeur. La fille de bonne famille va finir par s'émanciper au contact de son fuyard de compagnon, ouvrant son cœur en même temps qu'elle affirme sa personnalité. Avant d'en faire l'éloge discret avec The Lady Vanishes, Hitchcock place déjà la femme au premier plan, ce qui n'est pas le moindre des mérites.


Créée

le 31 août 2023

Critique lue 27 fois

3 j'aime

Procol Harum

Écrit par

Critique lue 27 fois

3

D'autres avis sur Jeune et innocent

Jeune et innocent
fleurblanche234
8

Foncer au plus profond , loin loin des regards accusateurs

Je l'ai vu ,ce Hitchcock il y a trois ou quatre ans de la je suis restee bouche bee devant cet acteur au visage jeune et innocent qui imite si bien un veritable naif. Hitchcock est le maitre de...

le 28 juil. 2016

10 j'aime

11

Jeune et innocent
Sergent_Pepper
7

Critique de Jeune et innocent par Sergent_Pepper

Un bien sympathique Hitch de la période anglaise... L'innocent embarqué dans une sale histoire est toujours aussi charmant et n'y perd pas son humour. Les scènes cocasses et les badinages...

le 19 juin 2013

9 j'aime

Jeune et innocent
Val_Cancun
6

The drummer man

Frais et sympathique, "Young and innocent" reste toutefois un film mineur dans la riche filmographie d'Alfred Hitchcock, énième variation sur le thème du faux coupable cher au cinéaste...

le 23 mars 2016

7 j'aime

Du même critique

Napoléon
Procol-Harum
3

De la farce de l’Empereur à la bérézina du cinéaste

Napoléon sort, et les historiens pleurent sur leur sort : “il n'a jamais assisté à la décapitation de Marie-Antoinette, il n'a jamais tiré sur les pyramides d’Egypte, etc." Des erreurs regrettables,...

le 28 nov. 2023

83 j'aime

5

The Northman
Procol-Harum
4

Le grand Thor du cinéaste surdoué.

C’est d’être suffisamment présomptueux, évidemment, de croire que son formalisme suffit à conjuguer si facilement discours grand public et exigence artistique, cinéma d’auteur contemporain et grande...

le 13 mai 2022

78 j'aime

20

Men
Procol-Harum
4

It's Raining Men

Bien décidé à faire tomber le mâle de son piédestal, Men multiplie les chutes à hautes teneurs symboliques : chute d’un homme que l’on apprendra violent du haut de son balcon, chute des akènes d’un...

le 9 juin 2022

75 j'aime

12