Avec L’Homme qui rétrécit, Jan Kounen et Jean Dujardin livrent une méditation sur la proportion, la mesure et la perte. Le film s’ouvre comme une fable tranquille avant de glisser vers l’expérience métaphysique d’un homme qui se découvre minuscule face à ce qu’il croyait maîtriser.
Dès les premières minutes, Kounen impose son regard. Les plans s’étirent, la caméra se fait contemplative. De subtiles contre-plongées inscrivent d’emblée une étrangeté visuelle : l’homme est filmé du sol, comme observé par ce monde qu’il domine encore sans savoir qu’il en deviendra bientôt l’hôte minuscule.
Cette grammaire visuelle fonde la poésie du film : une poésie des proportions. Chaque plan semble interroger la mesure de l’homme dans l’espace. La mer, la table, le plafond deviennent d’imperceptibles colosses. L’univers ne change pas ; c’est le regard qui bascule.
Quand le phénomène s’enclenche, Kounen refuse le spectaculaire. Le film reste intérieur, concentré sur la lente désintégration du corps. La caméra se resserre, les sons s’élargissent, le moindre objet devient horizon.
Jean Dujardin, dans un registre inédit, incarne cette disparition avec une rigueur presque ascétique. Son jeu repose sur la retenue : pas de cris, pas d’effets. Il avance vers le néant avec la conscience lucide d’un homme qui se regarde s’effacer. L’acteur, que l’on associait à la virtuosité comique, se dépouille ici de toute séduction pour atteindre une forme d’absolu dramatique.
Le rétrécissement devient la métaphore d’un dépouillement spirituel. À mesure que Paul perd ses repères physiques, il gagne en lucidité. Le film ne parle plus de science, mais d’être. L’homme qui se réduit découvre l’immensité de ce qu’il ignorait : la matière, la peur, le silence, le souffle.
Kounen inverse le mouvement traditionnel du héros : plus il s’efface, plus il voit. Le plan final, d’une beauté sobre, consacre cette conversion : l’infiniment petit devient l’infiniment grand.
Avec ce film, Kounen rompt la clôture d’un cinéma français trop souvent prisonnier de ses tics comiques et de ses cadres domestiques. Il retrouve la grandeur du mythe et la précision du détail. Et Dujardin, en assumant cette traversée radicale, prouve qu’un acteur issu de la légèreté peut réintroduire la gravité dans le regard national. Ensemble, ils rappellent que la fable, même fantastique, peut être un acte de pensée.
L’Homme qui rétrécit se déploie comme une allégorie de la perception : celle que l’on a de soi et celle que l’on projette sur les autres. Plus le héros diminue, plus se révèle le filtre à travers lequel il regardait le monde. La déformation de son corps devient miroir de nos propres angles morts : nos certitudes de taille, de pouvoir, d’importance.
En filmant la perte comme illumination, Jan Kounen signe une œuvre rare où la caméra pense. Et Jean Dujardin, par sa maîtrise du silence et du retrait, offre au cinéma français un visage neuf : celui d’un homme qui, en disparaissant, nous apprend à voir.