Si inhumaine qu'elle vient sans vergogne de trucider mon Top 10

Jour cruel que celui-ci, où des certitudes semblent vaciller.


Le monde des arts est par définition sans fin, il nous oblige à remettre perpétuellement en question nos croyances, nos acquis, et c'est probablement ce bouillonnement incessant que nous recherchons tous. Dans ce monde chaotique, certains d'entre nous ont trouvé sous la forme d'un Top 10 une bouée, un repère immuable forgé à coup d'hésitations, renoncements et douleurs. Il rassure, alors quand le sort nous met sous les yeux une œuvre susceptible de le faire vaciller, nous en faisons de même.


Car oui c'est bien le sort, ou plutôt un « petit jeu » auquel je me prête actuellement, qui m'a mis en présence de "L'Inhumaine". Peut-être l'aurais-je rencontré à une autre occasion mais rien n'est moins sûr .


Oui mes chéris du Top, je vais être inhumain. Rassurez-vous, Andreï et Maroussia, Jacques, Michel et Geneviève, je ne vais vous faire aucun mal, vous représentez trop de choses dans ma vie pour que j'ose toucher à un seul de vos cheveux. Quant aux autres, je vais vous faire des misères en vous rétrogradant, et j'espère que vous me le pardonnerez un jour. Toi, Rainer, tu risques fort de ne plus vouloir m'adresser la parole, et à vrai dire je te comprendrai, mais que veux-tu, il a bien fallu que je coupe une tête. Je vais donc te présenter ton bourreau.


Il s'agit de Marcel L'Herbier, artiste protéiforme, enfant caché de Murnau, Lynch, Maddin, Whale, Argento, Browning, qui accouche en 1924 d'un objet fou Art déco, plus effrayant que le Penelope Gate et bouleversant tel un concert de Christophe, ringardisant au passage 99.99 % de la production cinématographique qui suivit.


"L'Inhumaine" est bien plus qu'un film, c'est ce qu'on appelle une œuvre totale : poème, installation d'art contemporain, essai sociologique sur l'aristocratie, réflexion sur les méandres de l'amour, défilé de mode, exposition architecturale, catalogue de design, etc.


Grâce à la restauration de Lobster Films, le négatif original a été pour la première fois nettoyé, les teintages d'époque ont été restitués, rendant ainsi grâce au génie de Georges Specht, et c'est une révolution visuelle qui vous saute au visage. L'Herbier matraque son Noir et blanc sublime de couleurs saturées, se permet des montages épileptiques à faire passer Gaspar Noé pour un has-been, propose des séquences en caméra embarquée d'une modernité sidérante, vous scotchant littéralement au siège. Le metteur en scène s'est entouré des avant-gardistes de son époque - les plus grands costumiers, couturiers, maquilleurs, décorateurs, designers, sculpteurs, verriers, orfèvres, architectes, danseurs sont convoqués - et le résultat à l'écran est tout bonnement prodigieux, beau à se damner, chaque plan ressemblant à un tableau de maître. Jusqu'aux intertitres rivalisant d'originalité.


Point important : La partition musicale originelle de Darius Milhaud ayant été perdue lors d'un naufrage durant la Seconde Guerre mondiale, ce sont d'une part Aidje Tafial et d'autre part l'Alloy Orchestra qui ont été chargés par Lobster de composer un nouveau thème. Au moment de lancer le Blu-ray, le choix s’avérera donc crucial, tant celui-ci influera sur l'expérience à venir. Ambiance jazzy ou musique moderne décomplexée, virevoltante, à vous de trancher. Chez moi, le cœur et le cerveau ont dicté leur loi, et leur sentence fut sans appel : certes la composition de Tafial, inspirée de Milhaud, est magnifique mais celle de l'Alloy Orchestra emporte tout sur son passage, collant au millimètre à la folie créatrice de ces 120 minutes.


Me voici donc arrivé au bout de ma courte explication très cher Rainer, peut-être saisiras-tu un peu mieux maintenant pourquoi je t'ai ainsi sacrifié, mais ce n'est pas à un être sensible comme toi que je vais apprendre que quand on tombe fou d'amour, on ne peut lutter très longtemps sous les coups de boutoir, désireux que se substituent à ces coups des caresses. Et je n'y peux rien je ne rêve dorénavant que des mains de Georgette Leblanc, mon "Inhumaine"  bien-aimée.


« Claire chancelante d'émoi »

Créée

le 29 mars 2017

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takeshi29

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