Plagiat ou Originalité ?
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le 30 mars 2020
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Pensant sans doute que la noirceur de l'âme se distingue plus facilement sur fond blanc, André de Toth installe son western dans un cadre hivernal, jouant magistralement des contrastes entre pureté de l'élément naturel et médiocrité crasseuse de l'Homme déchu...
Faute de pouvoir compter sur un budget conséquent, il brille alors d'inventivité afin de composer un univers filmique au charme inédit : la transgression se fait sentir en détournant les mécanismes habituellement rencontrés dans ce type de production (les moments propices aux confrontations ne laissent transparaître qu'une violence sourde, ceux dédiés à la fraternité se transforment en élan de perversité, etc.) ; le minimalisme de la mise en scène, le refus de tout sensationnalisme, font la part belle aux acteurs (Robert Ryan et Burl Ives notamment) ainsi qu'à la tension psychologique. Souvent comparé au Grand Silence de Corbucci, par le seul fait d'avoir un peu de poudreuse à l'écran, Day of the Outlaw est une œuvre rare qui puise plutôt sa force du côté du western intimiste (la filiation avec Yellow Sky semble évidente) et du thriller oppressant, combinant avec succès la solennité glaçante d'un Dreyer avec la sécheresse minérale d'un Boetticher. L'imaginaire classique se dissout alors progressivement, le moralisme s'efface au profit d'un désenchantement tenace, l'intrigue habituelle laisse place à une déclinaison de l'âme humaine en un désespérant dégradé de gris.
Avant d'éprouver ses personnages dans un enfer blanc, Day of the Outlaw nous expose ses problématiques en même temps qu'il installe son ambiance pesante dans une partie huis clos des plus anxiogènes. En une poignée de plan, de Toth fait parler sa dextérité : immédiatement la caméra nous introduit au cœur d'un bled paumé en pleine montagne, un lieu de perdition pour les âmes en peine dont l'étrangeté est joliment soulignée par la photographie de Russell Harlan. Quelques bribes de dialogues et la simple vision d'un chariot abandonné suffisent à faire émerger les principaux enjeux : Starrett, le pistolero, et Hal Crane, le propriétaire terrien, veulent jouir des mêmes terres et de la même femme.
De ce simple antagonisme entre deux grandes figures du western, va naître une réflexion bien plus profonde sur l'individu. Simplement, sans jamais surligner son propos, de Toth expose la fin d'un monde (celui de l'Ouest ancien qui ne connaît que liberté, sauvagerie et loi du six coups) et l'avènement d'un nouveau, censé être plus civilisé (celui qui se bâtit sur la loi, la propriété individuelle...). Il annonce ce que sera The Man Who Shot Liberty Valance et fixe son attention sur l'homme, ses dilemmes moraux, en même temps qu'il règle son compte au mythe du Far West. Pour vivre son bonheur, épouser la femme qu'il aime, Starrett va devoir renoncer aux armes et à la légende qui va avec... Il va devoir surtout composer avec sa conscience, repousser la violence et le comportement bestial qu'elle sous-entend. Un cheminement initié par sa rencontre avec le capitaine Bruhn, l'homme qu'il tend à devenir, un individu qui tue comme il baise, une légende du fusil qui se considère lui-même comme dépourvue de toute humanité !
Day of the Outlaw surprend alors par sa vision moderne du western, loin de tout romantisme, annonçant avec éloquence les grandes œuvres de Peckinpah (Ride the High Country notamment) ou de Leone avec ces personnages pour le moins ambigus. Mais contrairement à des cinéastes comme Tarantino (The Hateful Eight) et Hillcoat (The Proposition), André de Toth ne fait pas dans l'ostentatoire ni dans la complaisance douteuse vis-à-vis de la violence. Celle-ci, d'ailleurs rarement matérialisée à l'écran, trouve toujours une justification dans le récit, comme cette bagarre qui survient après l'attitude chevaleresque de Starrett auprès des dames : les coups portés, la vision de son corps souillé de boue, le renvoient immédiatement à sa condition d'animal, de bête féroce...
Plutôt que de céder au lyrisme ou au spectaculaire, de Toth privilégie la tension sourde et anxiogène afin de préparer son spectateur à la dimension funeste de l'ultime partie, celle de la chevauchée des bannis. Dès le préambule, sa présence pernicieuse se fait sentir avec ce chariot qui explicite l'existence d'un contentieux non résolu. Puis, elle se dilate dans l'atmosphère, fait émerger l'idée d'un danger omniprésent qu'elle suspend au devenir d'une bouteille roulant sur le zinc d'un bar... La séquence est ingénieuse puisque la menace monte crescendo au fur et à mesure que le montage nous dévoile les visages de ces hommes prêts à dégainer. La grande force de ce passage est justement de ne pas céder à une violence libératrice mais de la repousser à plus tard, histoire de bien faire mijoter les rancœurs et de rendre l'atmosphère particulièrement éprouvante.
Avec l'arrivée du capitaine Bruhn, le récit prend soudainement une autre dimension, bien plus symbolique : c'est le mal qui entre en scène et avec lui, sa cohorte de dégénérés. Habilement, de Toth se désintéresse des enjeux classiques du western (rivalité amoureuse, affrontement entre la loi et la raison du pistolet) pour prendre le chemin de l'intime, son domaine de prédilection. En s'opposant au capitaine, c'est à sa propre part d'ombre que Starrett fait face. La séquence du miroir rend ainsi palpables ses turpitudes, tout comme celle où les pinces d'un médecin de fortune semblent moins extraire la balle du corps de Bruhn que ses confessions les plus inavouables. À ce stade, le point de non-retour est passé, la boîte de Pandore est ouverte, les plus vils instincts de l'Homme peuvent se déverser dans cet univers blanc, sans la moindre retenue... Les idées de meurtres et de viol chargent considérablement l'atmosphère, la rendant presque intenable le temps d'une danse maudite, durant laquelle les instincts libidineux envoient valser la convivialité chère à John Ford avant que le panoramique à 360° ne vienne nous coller la nausée.
Une fois leur bestialité exaltée, de Toth peut renvoyer ses personnages à leur misérable condition. La chevauchée à travers le blizzard s'apparente à une fuite en avant où personne ne peut échapper à sa conscience ni à sa propre culpabilité. La progression pathétique de ces êtres, points noirs dérisoires perdus dans tout ce blanc, nous sert immanquablement la gorge : la désolation gagne l'écran, le jeu sur les luminosités et le score d'Alexander Courage chargent les images d'une profonde gravité. La nature majestueuse impose alors sa loi aux hommes et applique sa sentence : les mouvements sont pénibles, les doigts gèlent sur les crosses, et les corps sombrent silencieusement dans un linceul de neige. Même le western n'en sort pas totalement indemne, Day of the Outlaw vient de faire briller son aura crépusculaire.
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Créée
le 29 mars 2023
Critique lue 19 fois
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