On a pris l’habitude de conspuer un peu facilement cette façon moderne de communiquer, sous le terme générique et parfois fourre-tout de novlangue, qui consiste à faire dire aux mots exactement ce qu’on a envie de leur faire dire, quitte à ce que ce soit le contraire parfait de leur sens premier. Ce faisant, on oublie du coup que cet art de la rhétorique est diablement utile, bien au-delà des cercles fermés de la politique. Ses variantes sont bien plus subtiles et étendues que ce qu’un novice de la spécialité ne voudrait le croire. L’utilisation du mot "forme" dans le titre du dernier effort de notre ami Del Toro est à ce sujet relativement délectable.


Un spectateur séduit par l’ambiance du film m’objectera immédiatement que justement, c’est surtout la forme qui l’a emporté ici, tel le courant irrésistible d’un canal d’évacuation canalisant les grandes eaux d’une mousson ponctuelle assez étonnante dans l’hémisphère nord, ce même spectateur convenant de facto que le fond de cette histoire n’a rien d’un tsunami. Un autre défenseur du plagiat aux quatre oscars (plutôt wilds, pour le coup) me rétorquera que la métaphore assez laborieusement poétique du liquide qui épouse la forme de la chose aimée est suffisamment envoutante pour justifier le titre.
Pour autant, et pendant que je m’ennuyais assez fermement, je me suis demandé pendant un bon moment quel pouvait être le cœur de cet étrange projet.


Deux indices, cependant, jalonnent très rapidement le parcours des motivations profondes du réalisateur-scénariste. Il y a d’abord ces plans quasi-introductifs sur notre héroïne que l’on montre sous un ou deux angles étrangement complaisants. Dès cet instant, j’aurai pu lui dire: sans trop me mouiller, je pense pouvoir affirmer que si tu sors dans cette tenue, tu vas te faire branchies.
Un peu plus tard, on pourra se montrer surpris de la facilité avec laquelle cette même Elisa apprend à communiquer avec notre Aqua-man domestique.


Rien d’étonnant en la matière: ce n’est pas l’apprentissage du langage avec une créature fantastique (ou extraterrestre, boaf, et puis tiens, on a qu’à dire que ça doit être une sorte de Dieu après tout) qui intéresse Guillermo. Certains ont tenté de faire un film entier sur le sujet, pour esquisser ce en quoi cela pourrait consister. Et c’est encore moins la façon qu’a cet "animal sauvage" de s’adapter à l’univers des humains. En effet, il comprend tout dès que nécessaire: le langage des signes en moins de trois minutes, quand il faut sa cacher dans un panier à linge sale, quand il faut ne pas être effrayé par les tirs d’arme à feu, comment devenir un animal d’appartement propre et sympa (sauf quand le chat fait la tête) et, fin du fin, comment entrer dans un cinéma pour une séance privée.


Non, ce qui a branché notre intrépide mexicain ici, c’est l’idée de l’accouplement entre une humaine isolée par son handicap (doublement bien pratique) et une bébête étrangement sexuée permettant la mise en scène de deux ou trois moments où tourbillonnent lascivement la belle Amélie Poulain (c’est fou ce que Desplat ressemble ici à Tiersen) et la bête, dans un siphon. Pour preuve, tout ce qui se passe après ces instants d’inondations émotionnels sera expédié avec la même désinvolture que ce qui s’était passé avant.
Shannon pouvait bien aller siroter quelques bières pendant la cérémonie de la remise des statuettes dorées, il savait pertinemment que son rôle de faire-valoir ne pouvait rien lui rapporter de mieux.


Vous allez me dire, avec une bestiole manquant à ce point de magie et de mystère, rien d’étonnant que tout cela se termine en queue de poisson.
(togodom, tschiii !)

guyness

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