Cinématographiquement parlant, la jeunesse est un thème très important où se confrontent plusieurs visions, plusieurs représentations. Chez Abdellatif Kechiche c’est avant tout le désir et sa recherche qui prédominent pendant que le spectateur cherche à s’identifier dans ces personnages, qu’il cherche à déceler leur moindre idée, sentiment, pulsion.
Mektoub, my love : Canto Uno est dans cette veine de cette recherche (dés)espérée, où les mots sont annihilés, et où le visage est seul détenteur de la communication au spectateur.


À l’été 1994, Amin, un jeune étudiant envoyant des scénarios à des producteurs parisiens, revient à Sète où il revoit son cousin Tony, son amie d’enfance Ophélie, mais où il fait la connaissance de nouvelles personnes, pour qui son désir s’éveillera et où la question de comment le combler se posera.
Ici le moment présent est travaillé à l’extrême dans des scènes étirées au maximum où tout le monde ne parle que de faits anodins, mais parce que, et seulement parce que, ils sont réunis. Comme le livre dont il est tiré (La Blessure, la vraie, François Bégaudeau, 2011), le film se déroule avant l’explosion des téléphones portables (1994 dans le film, 1986 dans livre) ; les seuls moyens de communication étant le téléphone fixe ou les lettres, le 1e étant limité spatialement, tandis que le 2e étant instable temporellement. Cependant il en reste un que Kechiche se fait un plaisir d’exploiter : la parole en présentiel. Que ce soit en groupe ou en face à face, les personnages parlent de tout et de rien, de la soirée de la veille tout comme de leurs problèmes, mais ils s’écoutent, se répondent verbalement et corporellement.
La vision de son interlocuteur permet d’échanger implicitement sur des sous-entendus cachés dans les discussions, permettant de connaître (ou supposer) les vraies intentions des personnages. C’est à cette image que se construit la scène de dialogue entre Tony, Charlotte, Amin et Céline, où chacun se regarde, s’observe, se juge et se jauge. Chaque plan, dépendant du suivant, ne va servir qu’à mettre en place des regards et des sourires, où l’attente d’une réponse à ceux-ci devient irrésistiblement longue mais palpitante, avant de se voir récompensé en voyant ce qu’on ne faisait qu’espérer : un regard souriant.
Aux grandes attentes les grands montages, qui savent eux-aussi jauger quand donner au spectateur ce qu’il attend, tout comme ce qu’attend Amin. L’identification aux personnages étant réussie, le film nous tient dans sa poche, et quand ce n’est pas de la jouissance qu’on ressent, c’est une frustration profonde, mais jamais dévastatrice, qui vient s’emparer de nous. Nombreuses sont les scènes où la caméra tourne autour des personnages tout comme eux tournent autour du sujet principal : le désir. Quand Ophélie et Amin discutent ensemble sur la plage, on se doute que la soirée de la veille n’est pas le but premier de cette conversation, et cela sera confirmé plus tard par la demande d’Amin de faire des photos nues d’Ophélie que celle-ci refusera, pourtant la lèvre qu’elle se mord et le regard perdu du jeune homme laissent présager que pas tout n’a été dit dans cette conversation, mais ceci n’est qu’une supposition que le spectateur ne lâchera pas jusqu’à la fin du film. Est-ce en vain ? Parfois les demandes du spectateur se doivent d’être laissées sous silence, sinon à quoi bon analyser ce qu’on voit si chaque réponse ferme un débat intérieur qui gagne à cogiter encore et encore ?


Là est toute la force de ce film qui frappe par sa mise en scène des plus solaires (la pléthore des scènes à la plage en atteste et montre une véritable cohésion dans cette famille ou ce groupe d’amis) s’accordant avec la libération du désir au sein d'un été des plus chaleureux. Et si une insatisfaction peut se faire ressentir avec les décisions de certains personnages (surtout chez Amin, qui parfois peut payer de sa timidité), elle nous rappelle, qu’aussi profondément que le spectateur se soit identifié en eux, ils ne font que vivre leur vie et tracer leur chemin, en cherchant sans doute une idylle tant attendue pour eux, comme pour nous.

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le 29 août 2020

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