La Vie, C’Est Comme une Toile de Carnaval

Eurydice débarque à Rio et entre dans la danse.



Orfeu sourit aux filles, chante



et joue de la guitare, ne sait s’empêcher de danser.


La veille de carnaval, tout le monde s’active aux derniers préparatifs avec un entrain de chaque instant, une énergie toute en sourires et déhanchements, et toujours en musique. Mais c’est du mythe d’Orphée qu’il s’agit : le jeune homme chavire les cœurs aux cordes de sa guitare, à sa voix d’ange, et les jours de fêtes annoncent une romance tragique lors de laquelle Orfeu descendra aux enfers. Marcel Camus transpose le mythe grec aux favelas des hauteurs de Rio, village de misère où pourtant hommes et femmes dansent, chantent, jouent guitares et accordéon, tapent des mains et des tambours, où l’amour sublime de richesse leur apparent dénuement. Où la vie n’est que douce musique et suées des corps transportés.


Rencontre absorbée au terminus des tramways, fiançailles à l’humour administratif prémonitoire, expressionisme sourd de pas qui résonnent dans les labyrinthes dudit terminus, les limbes de papiers au vent, le cerbère à la grille, après la vertigineuse descente dans l’entonnoir de l’escalier ovale, la danse finit transe aux enfers. Marcel Camus joue



de la symbolique sans discrétion,



c’est plutôt réussi dans l’ensemble, bien qu’à part du reste du film.
Le carnaval est filmé de manière documentaire, à l’aide d’un ou deux acteurs faufilés dans la foule. Le réalisateur imprime son film dans la réalité, mais cet aspect plaisant dénote également avec la théâtralité excessive d’autres séquences, celles de la romance notamment, où lorsqu’il s’agit de partager ses sentiments, le jeu des comédiens est trop empreint de jeu justement.


Dans le mélange de formes qui composent Orfeu Negro, Marcel Camus perd de vue l’essentiel du conte grec, l’art de livrer du sentiment à partager pour mieux s’imprégner d’une morale. Et quelle morale ici ? L’adaptation joue sur la composition des formes plus que sur la passion, le dilemme, l’angoisse ou le désespoir. Tout se vit sur le même plan, toujours l’on chante et danse, seul le silence vient construire une dialectique de surface sur les séquences funèbres de l’innocente Eurydice pourchassée par la mort, et d’Orfeu dans l’antichambre des enfers. Le reste du temps, la musique omniprésente coule une douceur suave et décalée sur l’histoire.
Empêche l’implication autant que le maniérisme déterminant du film.


Une belle envolée dans les premières scènes. Séduite par le chant d’amour d’Orfeu qu’elle écoute sans qu’il ne le sache, Eurydice est ensuite déçue qu’il les lui resserve platement en un sourire de niaise séduction : les mots, sans la mélodie ne valent rien.


« Le bonheur est comme une goutte de rosée sur le pétale d’une fleur »


Orfeu Negro c’est la dédramatisation des aléas du monde,



un nihilisme de bossa-nova



qui va jusqu'à nier la mort en suaves chansons pour poursuivre l'autre dans l'au-delà. Le beau Orfeu porte le corps de la belle Eurydice jusqu’aux sommets de Rio, vient mourir avec elle au petit jour tandis que les enfants lèvent le soleil sur une nouvelle journée de danse. Malgré les passions, au-delà des peines, Marcel Camus célèbre béatement les danses de la vie, éternelle.


Matthieu Marsan-Bacheré

Créée

le 10 déc. 2015

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