'an dernier, c'était No other land qui nous envoyait des images documentaires, parfois à peine lisibles, de la guerre de conquête menée par Israël en Cisjordanie. Cette année, le dispositif de Put your soul on your hand and walk, trouvé par la réalisatrice iranienne Sepideh Farsi, est plus désespéré. Difficile de se positionner devant cet objet, tant la mise en scène est impossible : la réalisatrice filme, au téléphone, ses appels en visio depuis un autre téléphone, avec la reporter et photographe gazaouie Fatma Hassona. Gros pixels, bugs de sons, interruptions et reconnexions permanentes, toutes les images dépendent de la connexion internet, mais la réalité va au-delà des pixels. C'est de la matière brute que nous dévoile la réalisatrice et sa correspondante sur place (les questions mêlant l'intime et le politique). Elle filme également au téléphone l'écran de son ordinateur sur lequel passent les informations télévisées, qu'elle aurait pourtant pu télécharger et intégrer au montage dans une meilleure qualité. Cette absence de mise en scène est un parti pris quelque peu déstabilisant, mais qui décrit bien le flou et l'instabilité qui règne sur Gaza et dans les images qui s'y échappent. À plusieurs reprises, pourtant, Sepideh Farsi décide de superposer les messages vocaux et les photographies et vidéos professionnelles de Fatma, offrant soudain au film un luxe fragile, une idée de mise en scène.
Au-delà du témoignage en direct, là où le film est le plus intéressant, c'est sans doute dans ce qu'il dit du rapport à la guerre et aux images. Sepideh, elle, est tout le temps inquiète, grave, indiscrète, et voyage en France, au Canada, en Italie, au Maroc... Elle a un regard extérieur, presque voyeuriste, le nôtre, qui ne savons et ne nous offusquons que ce que nous voyons sur nos téléphones. Fatma, sur place, est presque toujours souriante, capable de se marrer en disant que l'armée israélienne les tue un par un, ou qu'elle a perdu ses voisins dans un bombardement. L'écart entre les deux femmes est saisissant et se résume ainsi : celle qui a fui son pays, l'Iran, et celle qui ne veut pas quitter le sien, la Palestine. La beauté du film se trouve sans doute dans cette amitié féminine intergénérationnelle et internationale.
Celles et ceux qui voulaient invisibiliser le génocide et le massacre des populations palestiniennes ont perdu la bataille, et c'est au moins un bel hommage aux journalistes gazaouis que signe Sepideh Farsi.