Le titre de la critique est mensonger. Comprenons-nous bien, il n'y a pas plus d'incompétents au sein de la célèbre agence spatiale américaine, que de prix Nobel sur un terrain de foot. On le sait, jamais la NASA n'a perdu un homme dans l'espace. Pas même ses trois astronautes d'Apollo 13, ramenés sur Terre par l'ingéniosité et l'intelligence de ses artisans. Au sol, en revanche, c'est une toute autre histoire car tant l'équipage originel de Gemini 9, que celui de Apollo 1, mourut en ces bas lieux avant même d'avoir pu contempler l'arrondie de la sphère. D'où suspens insoutenable quant au sort réservé à notre héros du jour, Mark Watney, en perdition à la fois dans l'espace et sur une planète, j'ai nommé l'enfer rouge, Mars.


Il s'agit donc une nouvelle fois, vous l'aurez deviné, d'aller sauver le soldat Damon, la deuxième en moins d'un an depuis l'espace, et de le ramener au bercail, sain et sauf. Ce gros boulet. Pourtant s'il y en a un dans cette histoire qui n'a pas besoin d'aide, c'est bien lui, tant le type est comme à l'accoutumé, impressionnant de professionnalisme, d'intégrité et de conviction. Ce qui est d'autant plus louable ici que son personnage, sorte de croisement grotesque et sur-diplômé entre Robinson Crusoé (dont il arborera définitivement la barbe, c'était à parier) et MacGyver, semble tout droit sorti d'une dissertation collégienne. Quand je serais plus grand je voudrais être astronaute-vétérinaire quoi. Vous voyez le tableau.


Non, celui qui m'inquiète le plus à l'issue de cette séance, c'est celui dont on n'entend plus aujourd'hui ni la plainte, ni le cri déchirant, ni le désespoir... Pas même l'once d'une rébellion ou la promesse d'un retour... Parce que, comme il l'énonça lui-même il y a 30 ans de ça, personne ne vous entend crier dans l'espace... Pas de vide pourtant entre nous, si ce n'est celui, sans fond, qui drape ses films. Ridley n'es plus désormais que l'ombre de lui-même.


Au commencement était le verbe... Trois longs métrages, trois seulement, lui avaient permis, dès le début des années 80, d'être propulsé au sommet de la hiérarchie du cinéma de genre. Ah quel panache, quelle identité! Le réalisme, l'anti-conformisme et le radicalisme étaient alors son trident foudroyant. La science-fiction sa demeure, son cap Sounion. Les Duellistes, Alien et Blade Runner résonnèrent, dit-on des nuits entières, dans les grandes salles du palais de l'Olympe. Un crack Sir Ridley Scott... La suite c'est Brassens qui la résuma le mieux, et en chanson, quand il prophétisa qu’apaisés les beaux rêves flambants des premiers jours, s'accumulaient dans le ciel de gros nuages lourds. Passé cette état de grâce éphémère, effectivement, les choses se corsèrent et alors que les années s'égrenèrent, défilèrent sous nos yeux gemmifères bon nombre de films mortifères. On aurait mis des œillères... Appréciez l'assonance.


Ridley, on en était même venu à dire qu'avec toi c'était une fois sur deux... Puis l'adage nous dit une fois sur trois... Ou bien étais-ce une fois sur quatre? Je ne sais plus. Où en est désormais le compte mon ami? Car mis de côté ton mal-aimé Prometheus, dont je vante encore, avec quelques rares gredins de mon espèce, les mérites soit disant illusoires, plus rien ne sort depuis maintenant bien trop longtemps de ton imagination jadis si fertile. Le radar reste désespéramment silencieux. On en viendrait presque à regretter cette bonne vieille casserole de Spoutnik. La voie semble désormais close. Les banquets divins incorrigiblement tristes. Il faudrait en effet remonter à 2007 pour retrouver trace d'un bon film (American Gangster) voire 2000 pour celle d'un très bon (Gladiator)...


Pas de son donc, d'échos réprobateurs d'un lointain passé, de gémissements lancinants ou de complaintes mouillées, mais cette terrifiante vision d'impuissance qui imprime nos rétines cinéphiles. Si ses derniers films, excepté Exodus qui souffrait du même mal, flirtaient déjà dangereusement avec la série B nanardesque, tous portaient néanmoins la marque du bonhomme, la patte de l'artiste. Depuis deux ans pourtant, plus rien ne permet de les distinguer de la masse impersonnelle qui pullule dans les tiroirs des Majors et qui polluent nos écrans blancs hebdomadairement, si ce n'est le sempiternel et inévitable "directed by Ridley Scott" qui les clôt. Leurs plans, leurs travellings et leurs cadrages ne lui ressemblent guère plus, à ce pauvre Ridley. Son sens de la mise en scène s'étiole, sa flamme vacille, son cinéma se désincarne. Le talent se barre.


Pas de substance, pas d'âme... Seul sur Mars pourrait en effet très bien être, comme Exodus avant lui, l'œuvre de n'importe quel quidam d'Hollywood, comme la machine en digère chaque année des dizaines. Pire, son récent anonymat artistique qu'il lui est ici reproché, s'effriterait presque par moment, comme arraché au contact de la production actuelle. En témoigne par exemple une scène de laparotomie sanguinolente absente du bouquin ou encore l'utilisation factice et abusive d'une bande son aux notes progressistes du Saint Cool, comme pour mieux invoquer les fantômes simplistes mais diablement efficaces des Gardiens de la Galaxie et la bénédiction du dieu Dollar. Ces temps-ci, l'espace n'en finit décidément plus de vibrer au rythme alternatif des standards d'antan... Le dernier coup de pèle sur la tombe de Ridley venant des mains innocentes de David Bowie dont le génial Starman maquille plutôt habillement une ellipse sauvage et maladroite de plusieurs mois que même Michael Bay ne renierait pas (souvenez-vous de Armageddon et de son ellipse de quelques jours sur fond d'Aerosmith...). Pas plus qu'il ne renierait d'ailleurs le bestiaire caricatural des scientifiques de la NASA ou le final triomphal et héroïque de son savoir-faire, suivi et acclamé depuis toutes les grandes places du monde...


Toutefois, il serait plutôt déplacé et carrément de mauvaise foi d'imputer tous les défauts du film au seul papa d'Alien, tant la plupart des plaies dont souffre son film étaient déjà présentes dans le bouquin éponyme d'Andy Weir. Je pense notamment à cet humour affligeant qui parsème le film et désamorce toute tentative de suspens ou encore à ses allées et venues incessantes entre la Terre (avec au moins trois sites différents), la station Hermès et Mars, interdisant toute unité de lieu, toute unité d'action, et donc tout dépaysement martien... Le seul bon point à mettre au crédit de Drew Goddard, le scénariste (qui au passage porte le même patronyme qu'un grand visionnaire de l'aérospatial dont la lubie devint rapidement de se rendre sur Mars depuis le faîte de son cerisier), est l'abandon pur et simple de tous les problèmes mathématiques qui entrecoupaient le texte et plombaient la lecture. Le livre, comme vous venez peut-être deviner, n'était déjà pas très bon, mais parvenait malgré tout, grâce à la concision de son style et la parfaite reproductibilité de sa structure (répétitive cela-dit et donc rébarbative, malheureusement), d'entrapercevoir ce que serait d'un point de vue purement pratique, le quotidien d'un homme laissé pour mort à quelques centaines de millions de kilomètres de la Terre avec pour seul acquis son intelligence et son ingéniosité : un combat permanent et sans repos contre les avaries, les intempéries et les impératifs. Et déjà à ce niveau là, en éludant un trop grand nombre de péripéties pour des raisons purement techniques, le film de Scott ne pouvait qu'être un échec. Il eut alors fallu pour le sauver, un atout qui déjà manquait au livre : une petite note de noirceur, de désespoir et de maturité. Un tel combat contre la solitude, le silence, la mort et une éternité de plus de 4 milliards d'années est un combat qui ne se gagne pas. Il ne se livre d'ailleurs même pas : celui qui mange la nourriture des morts de devrait jamais en retourner.

blig
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le 19 oct. 2015

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blig

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