Sirāt
7.2
Sirāt

Film de Oliver Laxe (2025)

En ce qui me concerne, la plus grande claque de l’année. Sirat est une proposition de cinéma comme on en voit peu. La prise de risque est maximale, limite même parfois (vers la fin...), mais le film retombe toujours du bon côté, avec un culot et une grâce incroyables. Dès les premières images (qui nous plongent dans l’univers des free ravers aux confins du sud marocain), on comprend que ce film sera sensoriel, cathartique et unique en son genre.


Aucun scénario déjà expérimenté au cinéma ne m’avait préparé à celui-ci. On repère bien sûr des références thématiques ou esthétiques (Freaks, Mad Max, Le Salaire de la Peur ou son remake Sorcerer) mais la narration est ici très personnelle. Les intentions du réalisateur peuvent d’ailleurs paraître énigmatiques au premier abord mais il suffit de se laisser happer (la mise en scène nous y invite fortement) et de sonder les effets que provoquent en nous ce road trip hallucinatoire.


On suit des éclopés de la vie, des marginaux, le plus souvent relégués à des faire-valoir caricaturaux dans le cinéma classique, mais ici fortement incarnés (aucun n’est acteur professionnel à l'exception de Sergi Lopez, toujours aussi juste). Pour les caractériser, nul besoin de psychologisation, d’archétype ou de justification. Chaque ride, chaque membre amputé (Freaks), chaque démarche, nous dit déjà quelque chose d’eux. Leur besoin de liberté, leurs forces, leurs blessures intimes. L’immersion n’en est que plus puissante, surtout dans ce décor de fin du monde magnifié par la photo de Mauro Herce. Là aussi, on s’étonne de cet exercice d’équilibriste qui consiste à fabriquer une image à la fois documentaire et irréelle (les deux se complétant parfaitement), tout ça essentiellement en pelloche et sans jamais chercher à nous en mettre plein la vue. C’est beau (magnifiques plans de camions fonçant dans la nuit), c’est brut, et ça imprègne nos rétines, tout comme la bande-son, magistrale, qui s’installe dans nos oreilles pour longtemps (B.O. de Kangding Ray).


Il est très rare qu’un film donne une telle sensation de maîtrise et de liberté en même temps. La maîtrise, ici, n’aseptise rien, elle n’enferme pas son récit sous cellophane, elle en décuple au contraire la force (quel sound design !) et nous immerge en même temps que les personnages dans un décors hors-norme, organique et infiniment spirituel.


On ne sort pas tout à fait indemne de Sirat qui s’apparente à un voyage intérieur et métaphorique d'une grande puissance. On se demande un peu ce qu’on vient de vivre. La mort, la transcendance, la force des liens humains, la fragilité de la vie, tous ces enjeux infusent le film en profondeur et nous laissent pantois au sortir de la projection. Oliver Laxe (dont je n'avais vu aucun des films précédents) m'apparait ici comme un cinéaste majeur à suivre de près !


jjpold
9
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le 13 sept. 2025

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