Comment raconter une enfance authentique quand on est devenu un vieux nabab intouchable ?

A l'issue du film que j'ai trouvé terriblement long, au rythme décousu, ce qui me chagrine le plus (sans me surprendre de la part de Spielberg qui a la légèreté d'un pachyderme quand il s'agit de faire dans le drame ou la psychologie) c'est de l'avoir trouvé aussi factice, aussi insincère.

C'est comme si Spielberg avait tiré son inspiration, non pas de son propre vécu, mais seulement de l'exégèse de ses oeuvres par les critiques qui pouvaient déduire ici ou là ses obsessions, ses traumas.

L'exemple le plus troublant, c'est cette interview mémorable par James Lipton, où le journaliste établit un lien direct entre l'histoire familiale de Spielberg, avec un père informaticien et une mère pianiste, et le scénario de Rencontres du 3ème type. Spielberg est totalement séché et avoue que jusqu'à cette interview, il ne s'en était jamais rendu compte. Il n'en avait pas conscience, cela s'est traduit dans le film mais sans avoir été intellectualisé, prémédité, et c'est précisément cela qui créé de l'authenticité.

A partir du moment où l'on a expliqué à Spielberg que tous ses films traduisaient en creux ses traumas familiaux et ses rapports avec ses parents et ses soeurs, ce couillon va vouloir rétrospectivement tout expliquer de sa vie suivant ce prisme, avec une emphase globalement insupportable, comme si le moindre événement anecdotique de sa vie d'insipide avait eu des conséquences extraordinaires sur son monde, et indirectement sur le nôtre.

Je repense à cette scène grotesque où le pauvre Spielby prend une "baffe" de sa maman dans le dos, et ça lui laisse une marque rouge, ce qui l'indispose pour participer à un concours de natation. Quelle misère, c'est bien malheureux qu'il n'ait pas connu les coups de ceintures ou de fougères, le chef d'oeuvre qu'on a dû louper...

Le traitement est d'un classicisme effroyable, les séquences fades s'enchaînent sans lien ni passion avec une musique dégoulinante (dont beaucoup de violons à la cons pour tenter de générer une émotion qui n'arrive jamais), une absence de sortie de route, de rupture, et un train qui finalement ne déraille jamais. Il faut en outre supporter une Michelle Williams bizarrement bouffie, constamment grimaçante et globalement insupportable. Paul Dano est plus en retrait, ce qui n'est pas un mal étant donné sa capacité au surjeu abominable.

0 empathie pour le gamin qui interprète Spielby, tant le personnage est inintéressant. Une sorte de victime plaintive et chétive (elle aussi grimaçante), dont on a un mal fou à imaginer que ce personnage-là tel que raconté puisse débarquer et réaliser des films aussi percutants et inspirés en début de carrière.

C'est le film d'un type installé, assez peu courageux, assez peu couillu, constamment dans le calcul à essayer de faire un machin pas trop compliqué et accessible au plus grand nombre (mais qui bidera), mais qui ne reflète aucune sincérité, aucune ambition, aucun parti-pris. Parce que faire un film d'enfance c'est nécessairement très compliqué, puisque cela implique de se livrer, de remuer le couteau dans des plaies parfois mal cicatrisées, il faut donc de l'audace (dans un style classique à la Boorman, ou dans un style baroque à la Fellini).

Un autre grand réal s'est cassé les dents au jeu de la plongée intime dans son enfance, James Gray avec son "Armageddon time" qui quelque part recoupe les mêmes tares. Moins balourd, mais avec là aussi une forme de modestie qui semble feinte et surjouée. Quand François Truffaut réalise les "400 coups", c'est son premier vrai film, c'est un débutant qui a tout à prouver et qui veut tout casser. Son film a ses défauts, mais il a du charme et de la personnalité. Et de l'authenticité. C'est le film d'un type affamé.

Spielberg baignant dans le confort et la réussite (quoique, il est tout de même sensiblement en perte de vitesse, et risque d'avoir de plus en plus de mal à financer ses projets) a perdu le mojo, il ressasse ses trois anecdotes qu'on connait en boucle et n'a plus besoin d'inventer. Un peu triste cette impression de ne voir rien d'autre qu'un téléfilm un peu friqué.

Alors tout n'est pas à jeter.

Il y a quelques séquences sur le pouvoir évocateur du cinéma à la De Palma, qui permet par exemple de révéler ce que l'oeil nu ne peut voir. Comme cette scène qui aurait pu être très bien où le jeune Sammy monte des rush de sa mère en vacances, et découvre des jeux de regard et de mains évocateurs qui paraissaient anodins au premier abord, mais qui finissent par dévoiler une relation adultère. Ca aurait pu être très bien, comme dans l'enquête de "Blow out" ou de "Blow up", mais Spielberg se sent obligé d'alourdir le truc avec une caméra tournoyante en boucle, et une musique omniprésente. Il ne pose jamais ses scènes, ne les installe pas dans la durée, ne les fait pas vivre.

Et puis il y a tout de même une petite révélation, avec l'actrice Chloé East qui a probablement les scènes les plus intéressantes du film, où l'on génère enfin un peu de tension. Et cette scène de bal de fin de promo, très classique elle aussi, mais sympatoche avec là encore un écho aux pouvoirs du cinéma où Spielby parvient à se venger de ses bourreaux en les manipulant comme des pions dans son film d'école au style Léni Riefenstahlien.

Mouais.

KingRabbit
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le 15 déc. 2022

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