Risque de Spoils


Your house is a fine little house Jack


Lars Von Trier est un homme torturé, c'est pourquoi son précédent film, l'extraordinaire et conséquent Nymphomaniac, d'une durée de 5h25 au total, prenait des allures de testaments. Von Trier répétant qu'il ne sait pas s'il aura l'imagination et la force pour un autre film.
Le schéma se répète ici tant The House That Jack Built semble plus que jamais être son ultime masterpiece.
Cela dit, parait qu'ensuite il voudrait se lancer dans une série de courts métrages éducatifs en noir et blanc, curieux de voir ça.



1 : Breaking the Troll



Pour qui ne le sait pas, Lars est un joyeux provocateur, sa personnalité, publique du moins, se résume en deux mots, "torturé" et "provocateur". Il aime jouer, il aime choquer, la conférence de presse Cannoise de Melancholia en est un magnifique exemple, nous y reviendrons.
Le troll ultime du film, ne se trouve à mes yeux pas tant dans le film lui-même, mais bien dans son titre. "The House That Jack Built" est avant d'être un film de serial killer, le titre d'un petit livre pour enfants, ensuite réutilisé par plusieurs écrivains. Là, pour moi se trouve la première vraie provocation de Lars, cette pique, transformer symboliquement une oeuvre enfantine en un produit déviant et morbide. Magic troll !


Pour en revenir au scandale Cannois, un des plus virulents du festival, Von Trier suite à des propos mal compris sur un certains Hitler et le Nazisme s'est vu refoulé au rang de Persona non Grata. Interdit de croisette alors qu'il y était né avec sa première oeuvre, Element of Crime, puis quelques années après, avec Europa.
2018 marqua donc son grand retour, en Hors Compétition cependant, afin d'éviter sans doute un nouveau dérapage via une conférence de presse. Mais ce qui devait être à la base une mini-série, devenu finalement un film de deux heures et demi a grandement fait parler. Lars tout content qu'une centaine de personnes quitte la projection de son trip macabre. Cette année ce n'est pas Gaspar Noé qui a choqué, au contraire, même encensée pour son Climax, cette année c'était Lars le boss.
Petite anecdote sympathique, Noé serait même resté quelques jours de plus au festival pour pouvoir voir le film et rencontrer le danois.



2 : Dancer With the Dark



Dancer with the dark, telle la caméra dansante qui nous focalise sur le bal morbide d'un fou à lier.
Ce jeu de montage que Von Trier affectionne tant, ultra découpé, charcuté serait même plus sensé comme mot, au vu de l'histoire tranchante. Caméra à l'épaule, sans doute l'influence et la liberté apportée par le Dogme 95 qui restent présentes.
Pourtant, lors de l'annonce de ce projet, je ne pouvais m'empêcher d'imaginer certains plans, je projetais un cadre léché aux œuvres macabres esthétisées, à l'instar de la série Hannibal. Autre exemple, le travail de Nicolas Winding Refn, le dueliste parfait de Von Trier, les deux hommes ne s'appréciant que peu, il est amusant de voir que l'un esthétise jusqu'au bout des ongles mais n'est pas satisfait de la reconnaissance moyenne qu'on lui octroi, alors que l'autre s'avère beaucoup plus chaotique et reçoit pourtant des suffrages. Bien évidement je généralise lourdement, mais le combat entre les danois s'avère toujours amusant.


Chaotique, c'est justement là que Lars est le meilleur, ce chaos visuel qui ne peut que mieux nous plonger dans le chaos lui-même. Aucun des films du cinéaste n'est léger ou joyeux, il écrit toujours avec ses tripes et balance du mélancolique, pour ne pas dire du sombre et déprimant, car l'humour est toujours un facteur présent.
Ainsi la réalisation à l'épaule, de l'ordre de la shaky cam carrément, vient enfoncer le clou pour une histoire infernale et monstrueuse. Jouant ainsi avec le point qui se perd puis revient, avec la profondeur, la plupart du temps extrêmement étouffée. Le tout accompagné d'une photographie granuleuse et fabuleuse qui change en fonction des incidents (chapitres), au nombre de cinq, suivi d'un épilogue dantesque. Nous passons ainsi des tentes blanches et bleutées au vert marron pour finir par un quasi sépia lors du final, rappelant d'ailleurs énormément Element of Crime.


La mise en scène est donc brillante, que dire de mieux ? A l'image de son grand et beau Nymphomaniac, où déjà le sujet était lui-même sujet à symboliques, métaphores et comparaisons. Ici il n'est pas question de pêche à la mouche pour parler conquêtes sexuelles, mais bien d'évoquer l'art à travers le mal.
Là où Von Trier peut apporter de la poésie sur des sujets durs, ce qu'il a fait toute sa carrière soit dit en passant, ici, le spectateur peut en pâtir sévèrement. Un passage à tabac, une scène de cul, un viol et j'en passe, c'est supportable, dans la mesure où ce n'est pas plus appuyé que le sujet en lui-même, mais le meurtre gratuit, qu'on est forcé de suivre du regard, pas le choix, une partie de chasse contre des enfants, la gratuité visuelle étant palpable, c'est bien plus dur pour le spectateur, qui s'associe à la chose, qui n'a pas le choix.
Encore une fois, la gratuité n'est jamais présente chez Von Trier, la provocation et le grotesque sont toujours utilement là en revanche. Le sujet, le fond, la pensée est donc présente en permanence, encore faut-il supporter la surface, volontairement abjecte et violente.
M'enfin comparé aux actualités et le monde dans lequel nous vivons, un serial killer est "presque" respectable à côté...


Nous voilà donc durant plus de deux heures face à un homme sans aucune empathie qui tue par pulsion tout en se comparant à des artistes et œuvres tels que tableaux, musiques et autres architectures. Lars aime l'art, l'art aime Lars, ça je ne sais pas, mais Lars est un maître, de son tableau filmique il rend hommage aux autres, il rend hommage à tout ce que l'art peut apporter, seulement c'est bien plus drôle s'il le fait via la main d'un lunetteux compulsif et joyeusement taré.
S'il faut de l'amour dans une œuvre artistique, comme le dit si bien le personnage de Verge, encore un nom magnifiquement choisi, il faut également des sacrifices.



3 : The Movies That Lars Built



Comme à son habitude, Lars Von Trier est le premier à s'auto-critiquer, c'est constant, c'est comme ça, ça le nourri inévitablement et nourri son œuvre par la même occasion. Ainsi il n'est pas étonnant de comprendre que ce film, dont je disais qu'il ne pouvait pas être plus testamentaire, soit son plus pur reflet.
Le petit résumé clipesque de sa filmo qu'on peut apercevoir rapidement à un moment du film prouve bien qu'il parle en partie de lui. Un plan de son précédent film évoquait déjà la même chose. De part ce tableau ensanglanté et très drôle, Lars montre la difficulté de l'addiction, des pulsions, pour lui personnellement, sans doute pour la drogue et l'alcool. La difficulté de vivre avec, les moyens de les assouvir, où tout simplement de l'injecter dans son travail, dans son œuvre, là où Jack construit sa maison avec des cadavres, son œuvre, ses meurtres, Lars injecte ses malaises, ses maux, son mal, mais aussi son esprit enfantin et amusé dans ses films, sa filmographie complète reflète sa personne.
Une notion et une exécution que certains trouveront sans doute prétentieuse, et là je réponds : "foutaises", parce que j'aurais pu être plus grossier mais ce mot est drôle, car combien d'artistes se servent d'eux, de leurs sentiments, leurs maux pour créer ? Je dirais quasiment tous, où seulement les plus grands peut être.
Et puis on ne peut être prétentieux quand on est malin, drôle, joueur et brillant comme il l'est.
Drôle oui, ce mot définie bien plus le cinéaste que ceux comme "taré" ou "glauque", Matt Dillon le répétera lui-même, Lars est très drôle. Quand on comprend et admire sa filmo, c'est une évidence. The House That Jack Built est extrêmement drôle, plus que certaines comédies, j'ai passé un moment délicieux à tirer des sourires quasiment constants. Entre la claque et le divertissement, ce film ne m'a choqué à aucun instant tant le réel sujet et le grotesque de la surface m'ont empêché de l'être. Même dans la mort c'est d'une absurdité délectable.
La bande son mélangeant classique et morceaux funky comme 'Fame' de Bowie en est la preuve, on peut très bien passer du sérieux au drolatique, comme on peut et ce film en est la preuve, faire du sérieux avec amusement et fun.


Si "fun" est un mot que j'associe facilement à Lars, malgré tout l'aspect mélancolique qui l'entoure, celui que je ne lui associerais jamais, c'est bien "sexiste".
Comment peut-on traiter cet homme de sexiste ? Parce qu'il a fait un film sur un homme qui tue des femmes ? Faut vraiment ne pas savoir gratter une surface pour croire ça, ces gens sont typiquement ceux qui laisse les tickets grattables sur le bitume trempé sans avoir tenté leur chance.
La filmographie de Lars Von Trier comprend quinze films, dont neuf sont centrés sur une femme. L'homme qui a réalisé la trilogie de la femme comprenant Antichrist, Melancholia et Nymphomaniac, l'homme qui a sortie Dancer in the Dark ou encore Dogville serait sexiste ? Donc si une fois dans ma vie je mets des tongs, on oublie toutes les autres où j'étais en basket ?



4 : Mr Sophistication and the Seven Dwarfs



Parait-il que certaines personnes sont fascinées par les serials killer, elles collectionneraient des magazines, brochures et j'imagine bien d'autres choses à leurs propos. David Fincher fait surement partie de ces personnes.
Il est vrai que la méthode, ou les méthodes d'un serial killer sont intéressantes, le rituel, la minutie, etc... Le film dispose donc de cet aspect fascinant, il l'est d'autant plus quand le tueur perd le contrôle de son œuvre et prend de plus en plus de risques pour créer la parfaite, ce qui le mène tout droit au fond du trou. Jack raconte au fameux Verge, ce guide de l'après, son parcours, qu'il prend soin de diviser en cinq incidents, Von Trier étant un amoureux du chapitrage.
Sur une période de douze ans nous allons apprendre à connaitre Jack, ses manies, son évolution, ses envies, ses passions, principalement tournées vers la photo et l'architecture, mais l'ambition lui manque, enfin c'est plus précisément le matériau qui lui manque, du moins il ne le voit pas alors qu'il l'a sous les yeux. Jack est un être dénué d'empathique, Von Trier aurait simplement indiqué à Dillon : "Imagine que tu es né sans, comme quelqu'un qui né avec un membre en moins".
Jack est un obsessionnel compulsif et un joueur, ce qui crée des situations ambiguës délicieuses, le coup de la balle blindée est incroyable, tout comme le long dialogue rabaissant avec Simple.


Matt Dillon, acteur hors du star system hollywoodien, dont la carrière n'est clairement pas parfaite, trouve ici le rôle d'une vie, il y est absolument grandiose, passer de ce film à une interview de lui où il semble super cool c'est dire à quel point le gars est bon. Il se glisse à la perfection dans la peau de Jack, ce serial killer à la chance incroyable, ou c'est plutôt que les autres sont idiots.
Jack n'en est pas moins idiot de toute manière, c'est un être chaotique qui prône l'art quand il s'agit de meurtres. le montage symbolise à merveille son état via des tableaux de craie où le dessin prend vie pour donner sens au récit de Jack, Lars et le souci de l'image, c'est fou.
Par bien des incrustations différentes, je parlais d'artistes plus haut, mais également d'animaux, Jack conte à Verge et donc au spectateur son récit, comme je présume le bouquin pour enfant du même titre doit conter lui aussi un récit imagé.
L'aspect théorique et symbolique du film est donc brillant, à contrario des personnages, tous d'une bêtise inouïe.


Jack, bourré de TOC est surement le moins bête, il ne vit que par ses pulsions instinctives. Ses victimes en revanche, une grande partie de sexe féminin, plus facile à gérer d'après ses dires, sont d'une connerie infinie. En témoigne chacune des scènes avec elles, brillamment stupides comme si Lars pointait la populace moutonnière du doigt. Le pire, ce sont les flics qui n’interviennent jamais, les imbéciles de service incapables de faire ce qu'il faut, là encore Lars vise, critique un monde où rien ne va, où les choses ne sont pas justes, où les incompétents règnent et où le peuple suit bêtement. En bon hâter de Donald Trump, Von Trier pique, et pique malignement, sans forcer.
Jack est le moins bête, Jack représente le chaos, "le chaos règne" comme l'a lâché Lars via un tweet.


Dillon métamorphosé est admirable aux côtés d'un certain Bruno Ganz, incarnant ce guide nommé Verge. Ganz chez Von Trier, encore un coup de troll ? Nan parce que Bruno Ganz c'est juste Adolf Hitler dans le très bon film, La Chute. Au-delà de ça, quel kiff de voir ce superbe acteur chez Lars.
Côté féminin, Uma Thurman prend un sacré coup ici après avoir joué une femme cocue dans le précédent film du danois. Siobhan Fallon Hogan également habituée incarne à merveille cette pauvre femme au visage rappée. Sofie Gråbøl quant à elle, déjà présente dans Le Direktør et dans Mifune, un film fait sous le Dogme 95, se voit chasser ici lors d'une scène mémorable. La petite nouvelle et bienvenue, Riley Keough offre en plus de sa poitrine, une prestation savoureusement débile.



Épilogue : Artichrist



Von Trier aime façonner sa filmographie à coup de trilogies, la première étant Europa, la dernière, celle de la femme, passant par celle des Idiots et l'inachevée Washington, qui devait être la suite de Dogville et Manderlay.
Je le vois mal continuer après The House That Jack Built, il signe tout de même ici l'apogée de son parcours, réunissant à bien des instants son cinéma, ainsi il n'est pas surprenant d'entendre Verge traiter Jack d'"Antichrist", ou encore d'associer les magnifiques plans au ralenti de l'épilogue au prologue de Melancholia. J'extrapole sans doute mais de voir un Walter PPK dans la main de Jack n'a pas pu m’empêcher de penser à celui de Joe dans Nymphomaniac.


Il convoque son art dans un film sur l'art, magnifique épisode philosophique, jouissif et cathartique, où le mal n'est que prétexte à la quête de l'oeuvre parfaite, reflet d'un cinéaste unique et d'un monde aussi triste que chaotique.


Your movie is a fine little movie Lars


PS : Moi aussi je veux un porte-monnaie en nichon !

-MC

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