Nombre de critiques négatives décrivent ce film comme remarquablement filmé mais n’ayant pas grand-chose à dire et poussant même à la surenchère visuelle et technique. Tout au contraire The Revenant se trouve être très riche en thématiques et chaque plan de caméra et décision de réalisation est là pour les révéler et amener une cohérence générale au film. The Revenant est un grand film et c’est vraiment passer à côté de quelque chose que de n’y voir qu’un film "à Oscar". Une petite analyse afin d'y voir plus clair.


(Spoilers)


VIOLENCE


De la même manière qu’il est difficile de faire un film véritablement anti-guerre car la guerre reste excitante à voir une fois portée à l’écran ; illustrer la violence dans un film qui dénonce la violence relève toujours du défi. The Revenant de son côté essaye de désamorcer la chose en montrant que la violence entraîne toujours des conséquences. Le film tient à ce que nous ressentons les blessures derrière chaque coup de feu et même la mort de personnages dont on ignore les noms est amplifiée par l’importance que leur donne le Capitaine et le groupe des survivants. Même les Amérindiens ont une scène dans laquelle ils pleurent leurs morts. Enfin la scène avec le Grizzli, que certains ont pu trouver inutilement longue, est volontairement vicieuse au point qu’elle doit nous sembler difficile à regarder. La mort de Hawk est tout autant insupportable et celle de l’Amérindien pendu est déchirante alors même que nous ne le connaissions que depuis peu.


La violence dans The Revenant est toujours vue comme ayant de grandes conséquences. C’est pourquoi la fin du film nous enseigne de ne pas prendre de revanche personnelle alors même que le déroulement du film nous entraînait vers cette seule issue. Le film n'évite jamais son sujet et et la caméra prend soin de toujours se coller aux visages de ceux qui en sont la victime ou d’indiquer les ravages qu’elle entraine dans la nature, tel ce plan vers la fin sur la vision du sillon de sang (de Fitzgerald) sur la neige disparaissant dans la rivière. La violence ruine ici la beauté et l’harmonie de la nature. C’est aussi pourquoi Hikuc expliquera ne pas chercher la vengeance et la laisser aux mains du "Créateur". Soit très exactement la dernière phrase du film mais cette fois-ci prononcée par Glass. J’y reviendrai plus en détail.


RÉSURRECTION


A la moitié du film Glass se trouve au milieu des ruines d’une Eglise. A l’intérieur il voit une fresque du Christ dans ce qu’il reste d’un mur. On y voit Dieu, le père, qui permet à son fils de mourir pour la sauvegarde de l’humanité. Mais le Christ est revenu à la vie, ressuscité.


Glass hallucine (ou peut-être rêve-t-il) une autre scène au même endroit mais dans celle-ci s’y trouve son fils à l’apparence véritablement christique, ce dernier mime même une façon de marcher sur l’eau. Or Dieu ne ressuscitera pas Hawk, le laissant seulement vivre à travers la mémoire de son père. Mais le concept de résurrection ne se limite pas qu’au Christ. Le titre du film, Le Revenant, désigne celui qui est revenu présumablement après une mort ou une longue absence. A ce titre Fitzgerald va d’ailleurs presque enterrer Glass, le pensant condamné à mourir de ses blessures ou tué par leurs poursuivants. Glass arrive à s’échapper de sa tombe en terre et à aller de l’avant. Mais ce n’est pas sa seule résurrection dans le film. Il dort à l’intérieur du corps d’un cheval et s’en extraie tel un nouveau-né. Il renaît également après la rencontre avec Hikuc qui lui concoctera un véritable cocon d'où il pourra guérir de ses blessures. Tout cela explique comment Glass pourra dire par la suite au Capitaine Henry : « Je n'ai plus peur de mourir. C'est déjà fait. »


NATURALISME


Glass n’est pas seulement ressuscité mais revient avec la puissance des animaux associés à sa résurrection. L’ours attaque Glass afin de protéger ses petits. Lorsque Glass se relève pour sortir de sa tombe en terre il a acquit la force d’un ours. Bien sûr il ne devient pas un ours mais conserve le collier de griffes du grizzli sur lui et face à cet exploit on lui reconnait une certaine "force". Plus loin il attrape et mange cru un poisson de la même manière que le font les ours.


Par la suite il aura la vision de loups dévorant un bison. Glass, rampant tel un loup, suppliera Hikuc de lui donner un morceau de viande de ce bison. Le voilà qui mange la même proie et à terre comme les loups vu auparavant. Les deux hommes formeront un groupe et avanceront mieux à deux que s’ils étaient seuls, là encore comme une meute de loups.


Enfin Glass utilisera un cheval comme moyen d’échapper ses poursuivants et lorsqu’il renaît symboliquement (comme un cheval) le lendemain matin ce n’est pas un hasard que sa nouvelle compétence de fuite lui permet de retrouver plus tard le Fort. Dans une allusion plus directe de l’homme devenant animal, Glass dit à Henry que Fitzgerald fuit à travers la forêt telle une proie. Fitzgerald se réfère d’ailleurs souvent aux Amérindiens comme des porteurs de plumes, allusion évidente aux oiseaux. Le chef des Arikaras s’appelle Elk Dog, le fils de Glass : Hawk et il y a même une scène où un oiseau s’échappe de la poitrine du cadavre d’une amérindienne, comme si c’était son âme qui se libère. Tous ces aspects visuels et de récit font de The Revenant un film résolument naturaliste.


DIEU LE PÈRE


Inárritu expliquera que la menace principale du film est la filiation parentale et que bien des éléments y sont reliée. Elk Dog, la menace principale, passera tout le film à chercher sa fille kidnappée. Le Grizzli attaquant Glass le fait dans l’optique de protéger ses petits les pensant alors en danger. Avant cette scène c’est la relation très protectrice de Glass envers son fils qui nous est montré. Et une fois arrivé au Fort et résolu à se venger, Glass dira qu’il doit le faire car la seule chose qu’il avait et dont il se souciait c’était son fils désormais mort. On peut rajouter à tout cela la comparaison onirique Hawk/Fils de Dieu.


Mais qui est Dieu dans The Revenant ? Au tout début du film on voit Glass dormir avec sa famille et l’on entend sa voix rassurer son fils et chercher à le guider. Comme la voix de Dieu et cela se répète à multiples reprises dans le film à travers de nombreux flashbacks.


Parallèlement il y a l’anecdote de Fitzgerald à propos de son père – non croyant - qui mourant de faim monte à un arbre et prétendra avoir découvert la religion après sa découverte d’un écureuil et l’avoir mangé. Ce qui lui permettra d’ironiser en disant que Dieu n’est qu’un écureuil. Cela nous dit énormément sur la vision du monde de Fitzgerald et son besoin de rabaisser Dieu car la philosophie de Fitzgerald c’est d’être son propre Dieu, le maître de son propre destin. Pas question de se subordonner à d’autres et encore moins à la nature. Fitzgerald ira même jusqu’à dire qu’il a sauvé Bridger et qu’aux yeux de Bridger il est donc devenu son Dieu. A plusieurs autres moments du film Fitzgerald invoquera le nom de Dieu dans le but de servir ses propres intérêts, pensant certainement qu’il a des droits en tant que maître de sa propre destinée. Son Dieu à lui. C’est aussi à travers Dieu qu’il justifiera son meurtre auprès de Glass, preuve qu’il y croit intérieurement. (cf : « Et sur mon âme, Dieu sait ce qui s'est passé là-bas. »). Plus largement la vision de Glass représente celle de la Destinée Manifeste qui permit de conquérir l’Ouest Américain. Une philosophie se voulant divine et civilisatrice mais qui dans les faits était purement accaparatrice et destructrice de ce qui l’entourait.


Ce qui nous ramène à Hikuc et ce qu’il dit à Glass : « Mon cœur saigne mais la vengeance est dans les mains du créateur. » Bien que prononcée par un Amérindien, c’est phrase qui renvoie directement à une célèbre citation biblique : « Ne vous vengez point vous-mêmes, bien-aimés, mais laissez agir la colère; car il est écrit: A moi la vengeance, à moi la rétribution, dit le Seigneur. » C’est pourquoi lorsque Glass bat Fitzgerald à la fin du film, il décide de ne pas se venger et dira que « la vengeance est dans les mains de Dieu. »


Au cours du film Elk Dog recherche sa fille, Powaka, et c’est la raison de l’attaque du camp des trappeurs au tout début. Il pense que les hommes blancs l’ont kidnappée, ce qui exact sauf qu’il s’agissait du groupe de Français. Glass retrouvera par hasard Powaka, immobilisera celui qui la viole et sa distraction avec le cheval permettra à la fille de s’enfuir. D’un certain point de vue Elk Dog symbolise la colère de Dieu durant tout le film. Quand il apparait à la fin, Glass lui renvoie Fitzgerald, comme s’il laissait le destin du meurtrier de son fils aux mains de Dieu. En rétribution Elk Dog laissera Glass en vie, probablement aussi pour ce qu’il a fait envers sa fille.


DESTINÉE MANIFESTE


Le conflit entre Glass et Fitzgerald est moins à propos du meurtre de son fils que thématiquement une lutte entre deux visions du monde opposées. Fitzgerald se croit maître de sa propre destinée, ce qui est en soi n’est pas catastrophique comme position, mais en vient à corrompre l’idée d’indépendance en la confondant avec celle de son intérêt pur et aveugle. Il se croit justifié à prendre des vies pour le seul intérêt de sa survie. Il ne faut pas le voir comme un tueur assoiffé mais plus comme un homme qui croit pouvoir et devoir faire n’importe quoi, y compris tuer des innocents, afin de rester en vie et améliorer sa condition matérielle. « Et ce que Dieu donne, il le reprend. » Il justifie en permanence ses actes auprès de Bridger et en particulier face à Glass au point, comme je l’ai déjà indiqué, de rationaliser le meurtre de Hawk comme étant la bonne chose à faire pour tout le monde. Il est intéressant de noter qu’il invoquera l’existence d’un accord/contrat en lui et Glass, un contrat vicié bien évidemment. Le contrôle de sa destinée devient ainsi la proclamation d’utiliser la destinée divine afin de justifier des actions immorales. Les insultes fréquentes de Fitzgerald envers les Amérindiens le peint comme le genre d’homme ayant entièrement épousé cette thèse d’expansion civilisatrice vers l’Ouest. C’était très commun pour l’époque et même l’honorable capitaine Henry en viendra à dire vouloir « tuer un peu de la civilisation de cet enfoiré d'Arikara et récupérer nos fourrures. »


Il est donc important de faire remarquer que tout cela coïncide avec l’époque du film. La Destinée Manifeste, cette idéologie qui au nom de la civilisation et d’un intérêt supérieur vola les terres des autochtones en Amérique de l’Ouest, est directement dénoncée dans le film lors du dialogue entre Elk Dog et Toussaint. A ce dernier qui – négociant le prix - lui reproche de lui apporter des fourrures volées, Elk Dog répondra en retour : « Vous nous avez tout volé. Tout ! La terre. Les animaux. »


UNITÉ


Si Fitzgerald est la corruption et la destruction de l’ordre naturel alors Glass est son unité. Il est le père de Hawk, un enfant résultant symboliquement de l’association entre deux nations. Fitzgerald croit être son propre Dieu mais dans le contexte du film Dieu peut simplement vouloir dire la nature elle-même. Cela peut se voir même à travers la spirale gravée sur la gourde par Bridger et qui pour lui ne voulait sans doute rien signifier mais à nos yeux doit être comprise comme un symbole Panthéiste. La retranscription du mouvement de la spirale y signifie l’existence d’un ordre naturel et à la croyance d’une unité entre l’humanité et la nature. La photographie du film n’est donc pas seulement là pour montrer de magnifiques paysages à la Tarkovski mais bel et bien là pour appuyer la symbolique naturaliste de The Revenant. Et c’est aussi la raison pour laquelle Inárritu tenait à l’authenticité de la neige et de la lumière dans son film.


La nature est ainsi un personnage à part entière dans The Revenant. Une nature qui nous regarde tel ce plan dans le film où la caméra est à hauteur d’un oiseau sur sa branche en train de regarder Glass au sol. De nombreux plans sont à cet effet présent pour nous montrer le contraste entre la beauté de la nature et sa corruption par les humains, tel un feu qui se propage au beau milieu de la neige. Le premier plan raz-au-sol suit longuement la vision d’un ruisseau qui s’écoule et l’arrivée de l’homme à l’image se fait elle d’abord par la pointe d’un fusil. Et l’introduction à l’image de Fitzgerald est une scène dans laquelle il urine sur un arbre, ce qui renvoie symboliquement à son mépris envers elle. Dès le début du film tout était déjà dit ou presque.


C’est dans la nature que se trouve donc être Dieu. La relation de l’humanité avec l’ordre naturel est le point central du film. A un moment Glass entend la voix de la mère de son fils lui dire « Lorsqu'il y a une tempête et que tu es devant un arbre, si tu regardes ses branches tu jurerais qu'il va tomber. Mais si tu regardes le tronc, tu verras sa stabilité. » (nb : Un plan lorsqu’il est dans les ruines de l’Eglise le montre alors en train de serrer un arbre.) Cette phrase peut être comprise de deux façons : La plus évidente est qu’elle sert à encourager Glass de continuer à vivre. La seconde est qu’elle relie les sensations et la force de Glass à la nature elle-même.


Fitzgerald ne veut aucune unité avec cette dernière mais au contraire la dominer et conséquemment il est cohérent qu’il soit battu par Glass et finalement jugé par la nature ou plutôt Dieu. Glass a lui passé tout le film à appliquer cette unité avec la nature, lui montrant du respect et laissant le sort de son ennemi aux mains de la nature. La croyance de Glass est que personne ne doit abandonner du moment qu’il peut encore respirer. C’est pourquoi à la fin du film, et même durant le fondu noir du générique de fin, on continue de l’entendre respirer. Ce qui suggère qu’il pourrait cette fois encore avoir survécu.

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le 14 août 2016

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Ashtaka

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