Paul Thomas Anderson, pour son dixième film, sort du silence. Après de nombreux films plantés dans le passé, voilà qu'il ancre celui-là dans une époque très contemporaine. Ses personnages évoluent en conséquence : des femmes racisées dans un pays d'hommes blancs. Voilà le sujet d'Une bataille après l'autre. Après Alex Garland (Civil war) et Ari Aster (Eddington), PTA décrit à sa façon un pays fracturé et irréconciliable.
L'engagement militant de ses personnages se fait par dépit, parce qu'il n'y a plus d'autre choix. Road trip infini sur la nécessité d'un père de nouer un lien avec sa fille et vice versa, le film est aussi un bad trip, qui repose sur un humour visuel et physique autant que sur un comique de mots. Le réalisateur détourne chaque genre qu'il approche avec une aisance aussi vertigineuse que l'aisance de Willa (quelle révélation, cettr actrice !!) à conduire les mains liées une voiture à pleine vitesse.
Au-delà du parodique (Sean Penn, comique malgré lui, et DiCaprio en acteur burlesque), le film ne s'extraie jamais du réel et plus précisément de sa trivialité, le corps. Sous couvert de grande odyssée spectaculaire, l'intime et le banal ajoutent une dimension réaliste, car on ne peut s'y échapper (Une bataille après l'autre est un film physique plus que métaphysique). Le motif du tunnel, récurrent, devient un aveu esthétique : en 2h40, PTA creuse son sujet, prend des chemins invisibles, peut être jamais empruntés auparavant, et s'y engouffre sans forcément savoir où ça le mènera. Il prouve une fois de plus sa grande maîtrise de la mise en scène (la course poursuite finale est prodigieuse et proche du jamais-vu, la route filmée comme un océan sans horizon !), de sa précision d'écriture et de sa juste direction d'acteurs.
La révolution n'est pas qu'une histoire de forme et de surface, de spectacle. Elle doit être esthétique, se faire en profondeur. Souvent taxé de misanthropie, PTA est aussi (cela va bien avec) déséspéremment humaniste.