13 Sentinels: Aegis Rim
8.2
13 Sentinels: Aegis Rim

Jeu de Vanillaware Ltd. et Atlus (2019PlayStation 4)

« Malgré les progrès technologiques, c’est l’humain qui est capable de miracles »

Après plusieurs années de remakes, de remasterisations, d’extensions de leurs anciens titres, Vanillaware offrira tout de même à la 8ème génération de consoles un jeu qui lui sera exclusif, à la Playstation 4 plus spécifiquement, un jeu loin de leurs standards aussi bien en terme d’univers que de gameplay : 13 Sentinels Aegis Rim. Entre ce mélange de genres se rapprochant du tactical et du visual novel ainsi que cet univers de science-fiction à la narration fragmentée plus ambitieuse que jamais, ces 13 sentinelles m’intriguaient beaucoup et j’avais bon espoir d’y découvrir une nouvelle perle méconnue comme le studio a déjà pu en être à l’origine.


Je vous propose de découvrir si ce fut le cas en écoutant pendant la lecture le si particulier thème principal Brat Overflow qui a le mérite de mêler les différentes inspirations musicales de l’OST dans ce seul morceau, le premier à avoir été composé, le premier apparaissant dans le jeu et celui utilisé lors de la première présentation du jeu, décidant la note d’intention musical du titre.



RÉALISATION / ESTHÉTISME : ★★★★★★★★☆☆



Vanillaware a depuis longtemps confirmé son talent artistique aux firmaments des œuvres en 2D et 13 Sentinels en est une nouvelle illustration. La colorimétrie sublime des plans d’une formidable beauté en jouant essentiellement sur les rayons du soleil transperçant les couleurs de milles et une nuances de l’environnement. Plusieurs tableaux, parce que j’ai envie de les dépeindre ainsi pour parler de leur qualité esthétique, ont ainsi pu m’en mettre plein les yeux, me décrocher la mâchoire et contribuer à me parcourir de frissons quand la musique et la qualité d’écriture s’y joignaient de concert. Qu’il m’a souvent été difficile de ne pas juste arrêter de jouer pour admirer l’écran splendide qui s’offrait à mon regard, preuve irréfutable de sa qualité.


Alors, il faut bien sûr accepter cette nouvelle direction artistique en lien avec ce tout nouvel univers, bien loin des fantaisies mythologiques auxquelles le studio est plus habitué par ses productions précédentes, mais ce fut sans difficulté pour moi. Entre les différentes reconstitutions des lieux de vie japonais à différentes époques et un univers technologique et futuriste où la machine s’impose en tout temps, j’y ai trouvé mon compte. Nul doute que certains décors et designs seront trop référencés aux yeux de certains, mais j’y vois davantage des sources d’inspiration pertinentes ne réduisant pas tant l’identité visuelle du jeu que renforçant ses qualités.


Mais l’aspect artistique qui m’aura le plus convaincu n’est même pas là, c’est le chara-design qui est un véritable bijou à mes yeux, un cas d’école pour ces lycéens aux looks très stylés et distincts au premier coup d’œil, avec des animations caractéristiques parfaitement choisies en adéquation avec leur caractère, avec des versions alternatives à la fois très surprenantes et très cohérentes à certains moments du récit… Il était d’autant plus important que cet aspect soit réussi pour guider le joueur à bien suivre cette intrigue car, parmi tous ses partis pris radicaux difficiles d’accès, il démultiplie les personnages principaux, leur identité visuelle aide ainsi à rapidement les distinguer.


L’OST, toujours composée par Hitoshi Sakimoto, collaborateur régulier du studio, a quelques fulgurances dans des registres épiques ou mélancoliques avec un mélange des genres particulièrement audacieux. Une musique pop japonaise pourra être ainsi entendue à part entière avant de faire des apparitions partielles dans des morceaux techno pour les combats, des morceaux orchestraux pour les moments épiques, quand les 3 ne sont pas mélangés d’une manière ou d’une autre. Alors, on aime ou on aime pas, et moi-même je suis loin d’être un fan de la partie très techno, mais l’identité sonore de cette composition est indéniable, tout comme son efficacité lors de certains passages majeurs et celle du sound-design, en concordance avec cet univers où la technologie est reine.


Par contre, Vanillaware n’a pas toujours les moyens de ses ambitions et ça se voit sur certains aspects comme la mise en scène. Lors de l’aventure, elle est toute en temps réel avec le moteur de jeu en 2.5D et s’avère assez austère sur beaucoup de passages secondaires, n’utilisant d’ailleurs que très peu l’effet de profondeur. De la même manière, la représentation très simpliste et de petite taille des Sentinelles et des Kaijus lors des phases de jeu est assez dommage et n’est pas assez compensé selon moi par l’utilisation au premier-plan des portraits des pilotes, des sprites des Kaijus… qui sont beaucoup plus détaillés. Un avantage que ce système a par contre, c’est que le nombre d’ennemis et d’effets visuels simultanément à l’écran peut être assez impressionnant, la fluidité n’étant quasiment jamais prise en défaut.


On voit aussi que le manque de moyens ne permet pas de s’attarder sur le niveau de détails de tous les éléments à l’écran, dès que ça requiert de la précision et/ou du mouvement ça peut vite être délaissé, n’importe quel écran de télé est très pauvrement défini par exemple. Et si l’on s’attarde sur les arrières-plans d’environnements secondaires, les silhouettes sont très vaguement dessinés, les mouvements peu nombreux et formant de très courtes boucles d’animation… Mais ça n’enlève rien aux formidables qualités esthétiques décrites plus tôt qui m’ont bien impressionné, mais bien moins qu’un autre aspect du jeu.



SCENARIO / NARRATION : ★★★★★★★★★★



Habitué des narrations fragmentées à plus d’un titre, le parti pris narratif du scénariste est plus ambitieux que jamais dans l’histoire du studio en mêlant 13 perspectives différentes qu’on peut explorer assez librement et qui sont elles-mêmes déstructurées dans la chronologie de leurs événements avec du rêve prémonitoire, du voyage dans le temps, du cheminement alternatif, de la personnalité multiple, de l’usurpation d’identité, du clonage, de la réalité virtuelle, des mondes parallèles, des souvenirs implantés... C’est le genre de choix à double tranchant, soit tu réussis l’exploit de développer un univers riche à la redécouverte constante, soit tu te manques complètement à raconter une histoire compréhensible et tu perds le joueur en route, fort heureusement on se retrouve ici dans le premier cas de figure pour moi : l’exploit !


S’il m’a bien sûr été impossible de bien tout comprendre en tout temps, c’est le concept même d’une narration défragmentée que de perdre le joueur au moins de temps en temps, j’ai toujours été captivé par le récit, surpris de ses très nombreux rebondissements, en accord avec les moments de confusion et d’éclaircissement des personnages suivis… C’est parfaitement maîtrisé de bout en bout et c’est un tour de force formidable qui a été réussi à ce niveau-là, même si on ne retrouve pas le brio absolu de la fin d’Odin Sphere récompensant le joueur ayant bien compris son intrigue par un très habile système de choix, ce qui se comprend parfaitement quand on pense qu’ici l’intrigue est plus complexe et répartie sur presque 3 fois plus de points de vue que pour Odin Sphere.


Cette complexité provient de l’incroyable richesse du récit qui profite de son univers de science-fiction pour aborder plein de thématiques très intéressantes, faisant écho à bien des références du genre, parfois fidèlement restituées, parfois totalement réappropriées. On sent très bien toute la passion du scénariste pour les sociétés qu’il dépeint et les sujets qu’il aborde avec ce concept de secteurs, au cœur de l’intrigue. Même des thématiques comme l’homosexualité, souvent traitée avec légèreté, voire condescendance dans ce type de production japonaise, sont traités ici avec beaucoup de subtilité et d’intelligence derrière les blagues un peu osées. De plus, la traduction française intégrale et de bonne facture des textes couplée au libre choix des voix anglaises ou japonaises permet d’apprécier l’ensemble à sa juste valeur.


Le doublage japonais avec lequel j’ai vécu cet histoire est une fois encore absolument magistral, avec des performances complexes comme celle de Atsumi Tanezaki qui doit doubler pour les besoins du scénario différents personnages avec des tons très différents, Ami Koshimizu que j’adore et que je trouve superbement charismatique dans son rôle badass mais aussi sensible de Yuki Takamiya, Eriko Matsui dont la voix si mignonne de Miwako Sawatari me fait fondre alors que celle qu’elle prend pour l’IA en combat est très déterminée et forte… c’est tout simplement parfait et je pourrais passer la critique à le dire et à le répéter, l’intégralité des dialogues étant doublés par ailleurs.


On appréciera aussi que des mécaniques de jeu propres aux personnages correspondent à leur histoire personnelle, leurs relations, leur personnalité… Typiquement, 2 personnages qui entretiennent une relation privilégiée, pas seulement amoureuse d’ailleurs, s’offriront des bonus respectifs s’ils sont déployés ensemble, le joli cœur de l’équipe sera plus performant s’il est entouré de femmes, la solitaire du groupe sera meilleure seule au combat… Il est juste dommage que l’expression de sentiment d’épuisement des personnages face à l’adversité paraisse assez factice, à cause de la facilité du jeu même en difficulté maximale, mais c’est vraiment qu’un détail insignifiant.


Il y a aussi un autre petit défaut tout aussi minime dans la narration, c’est qu’on se retrouve parfois bloqué dans une salle avec une seule possibilité, lancer la prochaine ligne de discussion ou le prochain script, pourquoi dans ces cas-là la conversation ou le script ne continue t-il pas naturellement ? On perd en fluidité assez intuitivement dans certaines phases de narration alors que d’opter pour une simple cinématique aurait réglé le problème. Il aurait également été plus sympa que les archives nous permettent d’adopter une position de spectateur, mais en réalité ça ne gêne pas plus que ça la narration et j’aimerais tellement, mais tellement, n’avoir que ça à reprocher à un scénario et une narration de jeu vidéo. Par contre, des reproches je vais autre obliger d’en formuler un peu plus vis-à-vis du gameplay du jeu.



GAMEPLAY / CONTENU : ★★★★★★★☆☆☆



Vanillaware innove pas mal avec ce nouveau titre dans leur ludographie en quittant l’action nerveuse au profit d’un gameplay se distinguant en phases de tactical et en phases s’approchant du genre visual novel, les premières étant beaucoup plus ambitieuses sur le plan ludique que les secondes en toute logique. Ces dernières peuvent s’essayer à quelques phases d’infiltration, de réflexion, voire d’action mais sans grand intérêt. Mais, elles sont si courtes et peu représentatives de l’ensemble du gameplay que ce n’est pas un problème et que je ne vais pas m’appesantir à ce sujet. Je dirais juste que ces phases auraient pu être du pur visual novel assumé de bout en bout, ce qui n’est pas tout à fait le cas mais encore une fois ça n’a rien de dommageable à l’expérience de jeu.


L’inexpérience du studio dans le genre du tactical les a poussé à une proposition relativement modeste, une petite équipe de personnages très puissants doit défendre une zone contre des vagues d’ennemis, l’objectif ne change ainsi quasiment jamais, la carte est souvent identique d’une mission à l’autre... le renouvellement viendra de l’évolution des capacités de nos personnages pour répondre à celle des ennemis. Les différents personnages jouables se répartissent donc en 4 différentes classes dont il faut comprendre et exploiter les synergies, mais j’ai très vite compris que la profondeur de ce gameplay n’allait pas aller très loin passée les premières heures de découverte.


J’ai assez vite ressenti un petit déséquilibre entre les personnages avec certains demandant beaucoup plus d’investissement en XP et métacapacités que d’autres pour devenir efficaces sur le champ de bataille, même si in fine ça se tient bien c’est le genre de détail qui me fait dire que le gameplay n’est pas si maîtrisé que cela. Sa répétitivité est assez bien masquée par son aspect addictif avec l’évolution des capacités et ses nombreuses interludes scénaristiques, mais elle est réelle quand je prends le temps de l’analyser et je ne peux l’ignorer dans cette critique.


On m’a prévenu que le jeu manquait de challenge, je suis donc passé au niveau de difficulté maximal dès que possible, le mode dit « intense », et malgré cela il aura fallu attendre 10 heures de jeu pour que je sois enfin mis en difficulté, entendez par-là que je n’ai pas eu le rang S au scoring mais seulement le rang A, et un peu plus de 20 heures de jeu pour connaître mon premier échec, surmonté dès le deuxième essai et qui ne s’est quasiment jamais reproduit par la suite. Les objectifs bonus imposant des restrictions dans le choix de l’équipe, l’envie de scorer le plus possible en ne se reposant pas entre les affrontements, la dépense de points pour améliorer ce scoring plutôt que l’efficacité au combat… constituent des variables de difficultés intéressantes mais le manque de challenge global se fait tout de même sentir.


Il faut attendre la vague 4, soit postérieure à toute la partie scénaristique du titre, pour enfin avoir droit à quelques rares configurations de niveau originales et des ennemis qui ne pardonnent pas la moindre erreur, bienvenu mais un peu tard et somme toute anecdotique. Mon opinion sur l’ensemble du gameplay peut se résumer ainsi simplement : à chaud le plaisir de jeu est là mais à froid le système de jeu manque de finition et d’ambition. Ça s’explique très bien par l’inexpérience du studio, et mieux valait une proposition modeste mais sympathique plutôt qu’une ambition qui les aurait dépassé et abouti à une proposition bancale.



CONCLUSION : ★★★★★★★★☆☆



Si l’on sent bien le manque d’expérience du studio dans le genre du tactical qui reste modeste dans cette proposition pour rester efficace, Vanillaware parvient à me le faire quasiment oublier avec la direction artistique exceptionnelle à laquelle elle m’a habitué dans un univers qui sort de ses standards, mais surtout par son scénario d’une qualité tout simplement incroyable avec cette narration si formidablement réussie façon puzzle aux milles morceaux que l’on prend tant plaisir à assembler petit à petit alors que notre esprit s’égare à imaginer l’image d’ensemble. Une des plus belles exclusivités de la Playstation 4 qui mériterait tant d’être plus connue.

damon8671
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le 1 janv. 2022

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