1984
8.3
1984

livre de George Orwell (1949)

Quand le seul choix possible est être en vie ou être humain

Après avoir lu et énormément apprécié la ferme des animaux de Georges Orwell, je dirige donc mon attention sur l’œuvre encore plus réputée de l’auteur : 1984. L’un des livres les plus incontournables, quelque-soit là où on se renseigne pour savoir quels livres il faut absolument avoir lu dans sa vie s’il ne fallait en lire que quelques uns, en plus de toutes les références qui peuvent lui être faites ici et là lui conférant un statut culte. Voyons donc ce que j’ai pensé de ce monstre littéraire.


1984 dépeint d’abord et avant tout une société totalitaire à l’extrême. Le premier tiers du livre prend le temps de décrire cette ambiance pour en dégager des thématiques fortes et une ambiance très pesante. Paix, liberté et connaissance sont ouvertement rejetés dans la devise nationale, penser librement est devenu le plus grand des crimes et la lutte contre cela est menée par tous les moyens possibles, on parle de la création d’un langage universel dépourvu de façons d’exprimer des notions interdites, la menace de travaux forcés ou de peine de morts spectaculaires pèse sur tout à chacun sans aucune protection légale, une propagande militariste très forte est rabâchée encore et encore dès le plus jeune âge…


Cette société totalitaire à l’extrême n’a rien de purement fictif pour autant, la limitation du libre-échange pour un système de rations, l’utilisation de termes connotés tels que camarade, le contrôle par l’État qui est le plus dénoncé, la naissance de cette société par un courant de pensée socialiste… ce n’est jamais qu’une projection de ce que pourrait devenir l’URSS à l’époque. Mais comme dans La ferme des animaux, Georges Orwell ne se contente pas de dire que l’URSS c’est pas bien, il en dresse une critique pertinente, argumentée et nuancée.


Quand la solution envisagée par le protagoniste à un moment de l’intrigue pour bâtir une société meilleure serait une nouvelle révolution par la conscience de classe dans le principe de la révolution permanente, puisque tout porte à croire qu’une révolution a autant détruit le capitalisme qu’elle a laissé intact ses pires travers, je ne crois pas voir une seconde dans cette œuvre une dénonciation bête et méchante d’une société dont elle se contenterait de dresser une caricature. Et si choisir ce type de société paraît moins pertinent aujourd’hui, des éléments tels que le principe de la surveillance panoptique constante passant par les nouvelles technologies sont d’une modernité incontestable.


Quand je dis moins pertinent aujourd’hui, je pense surtout au fait qu’on vit dans un monde très majoritairement néolibérale et ce sont ses dérives spécifiques qui me paraissent plus pertinentes à critiquer. Mais l’auteur ne pouvait en aucune façon prédire ce que serait la société du futur, comme il le dit lui-même dans le livre par ailleurs, et même encore aujourd’hui, des pays comme la Corée du Nord présentent un certain nombre de parallèles assez flippants avec la société de 1984. Par conséquent, le livre a beau avoir été écrit en 1949, il ne manque pas de pertinence même de nos jours malgré les premières apparences.


Surtout que si ce monde est assez peu évoqué dans son intégralité pendant une grande partie du livre, il finit par trouver tout un ensemble de raisons géopolitiques qui justifient pleinement comment il en est venu à cet état et s’y est maintenu si efficacement en dépit de ses caractéristiques extrêmes qui pourraient le rendre éloigné de notre réalité. J’ai beaucoup aimé tout le passage vers les deux tiers de l’ouvrage qui revient sur l’histoire de notre monde réécrite des années 1940 aux années 1980, l’auteur a vraiment réfléchi pour expliquer chaque tournure de la société, pourquoi c’était selon lui inéluctable et pourquoi ça s’est produit à ce moment là de l’histoire de l’humanité et pas à un autre. Ce qui offre à cet univers autant de richesses que de crédibilité.


On a donc un univers original, porteur de grandes thématiques et marqué par une forte ambiance mais pas seulement. On a aussi une histoire assez captivante avec ce protagoniste marqué par la solitude, chaque raison d’espérer une société meilleure en contraste avec chaque raison de craindre la situation éternelle. Le personnage de Julia vient apporter une nouvelle dynamique dans la deuxième partie et amène des moments forts rendus possibles avec tout ce qui a été fait durant la première partie.


Autre chose qui est très bien fait : c’est la mise en abîme de la rédaction du journal ou de la lecture d’un livre par lesquels une petite réflexion est menée du point de vue du lecteur ou de l’auteur, un style d’écriture qui fera toujours mouche pour davantage capter mon attention. J’ai tout de même quelques reproches à faire au livre mais impossible d’en parler sans rentrer dans une zone spoiler assez prononcée puisqu’il y est question de twists, de la fin... vous voilà prévenu.


Je regrette seulement la facilité avec laquelle Winston et Julia se sont fait prendre. Autant Mr Charrington c’était plutôt bien vu comme petit twist, autant O’Brien c’était pas très bien élaboré. Bien qu’il l’admette lui-même, c’était un risque inconsidéré d’aller tous les deux chez O’Brien sans même penser à un prétexte pour expliquer sa venue s’il se rendait compte qu’il n’était pas un résistant. C’est pas tant le fait qu’ils se fassent prendre que je reproche, que la manière pas forcément prévisible, mais pas non plus très bien amené. C’est pour l’anecdote le seul passage de toute l’histoire pour lequel je préfère la version cinéma (il va chercher le dico seul et les propos sont beaucoup plus nuancés).


Il en va de même pour les motivations initiales qui ont justifié leur volonté d’entrer dans la résistance. Pour moi, la principale raison que Winston aurait de rentrer dans la résistance c’est de rencontrer quelqu’un qui doute également de la société telle qu’elle est pour ne plus se sentir seul au monde, en rencontrant Julia il perd cette raison, ou alors il aurait fallu que Julia disparaisse du jour au lendemain avant que Winston ne cherche à entrer en contact avec la résistance. Quant à cette dernière elle agit contre le Parti pour satisfaire sa soif personnelle de liberté, elle n’a aucunement l’intention de la changer parce qu’elle n’y croit pas. Je n’ai pas bien compris pourquoi ils ont sauté le pas d’aller voir O’Brien.


Je trouve également la fin trop sombre, j’aurais bien vu Winston réussir à faire croire à ses bourreaux sa conversion pour finalement gueuler un truc style à bas Big Brother juste avant de mourir publiquement. Prouvant ainsi l’existence de ce je ne sais quoi dont ils parlent plus tôt et le partageant à une foule dont peut-être un individu se mettrait à douter et ainsi de suite, cette humanité profonde qui ne peut être parfaitement vaincue, qui s’insinuerait toujours chez l’Homme peu importe les moyens employés contre elle… Et puis ça aurait pu boucler avec le fait que les réflexions de Winston en début d’ouvrage démarrent d’une expérience similaire où il aurait été lui, ce membre de la foule par exemple.


En dehors de ces petits reproches très personnels, 1984 est un univers original, porteur de grandes thématiques et marqué par une forte ambiance dans lequel se déroule une intrigue assez captivante via un style d’écriture qui comprend ses très belles astuces pour parler directement au lecteur. C’est un livre des plus intelligents sur les questions qu’il traite et je vous le recommande très fortement si vous voulez vous immerger dans un monde captivant, réfléchir à tout ces problématiques et être ému au plus haut point.

damon8671
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le 15 déc. 2017

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damon8671

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