Alcools
7.6
Alcools

livre de Guillaume Apollinaire (1913)

Soyez toujours Ivre.... Comme le Bateau.... Une merveille de musique.

Bonjour à tous,


Aujourd' hui, je m' en vais faire la critque de ce recueil, très célèbre d' Apollinaire.


Les poètes sont peu nombreux, mais les grands poètes sont rares. Et Apollinaire, à mon avis, en est un.


La poésie d'Apollinaire est située entre deux temps majeurs, le XIXème et le XXème siècles. Une transition incontournable. C'est le vol (le moment de cet acte) de l' "Oiseau tranquille (au vol inverse)" de la poésie symboliste vers la poésie surréaliste. Car "à la fin tu es las de ce monde ancien".


La lecture de ce recueil est fort agréable. Ce n'est ni une poésie naïve au métaphores consommées, ni une poésie rebutante par sa complexité exagérée et fade. Au contraire, c'est un recueil qui vous entoure de plaisir une fois ouvert comme ces boîtes à merveilles.


Dans ce recueil, j'ai trouvé un peu de tout; le lyrisme, le romantisme, le symbolisme, la mythologie, le fantastique, la modernité...Cela s'explique parfaitement puisque ce recueil est issu d'un travail de quinze ans! Une recherche du nouveau, avec des Poèmes sans ponctuation (procédé déjà utilisé par Mallarmé) aussi variés (des vers libres, des vers classiques...) de thèmes différents (amour, industrie, fuite du temps, mort, l'identité...). On a le plaisir de retrouver là un carrefour entre tous les poètes français qu'on a adorés (Verlaine, Lamartine, Baudelaire...) tout cela mélangé et modifié habilement.


Je me souviens toujours de ces vers magnifiques:


Un jour je m'attendais moi-même
Je me disais Guillaume il est temps que tu viennes
Pour que je sache enfin celui-là que je suis
Moi qui connais les autres


Un recueil à lire et à relire toujours avec le même plaisir!


Ce recueil contient de véritables merveilles de musicalité de la langue. Il y a souvent beaucoup de mélancolie chez Apollinaire.
Extraits du poème " A la Santé " :
"
Avant d’entrer dans ma cellule Il a fallu me mettre nu Et quelle voix sinistre ulule Guillaume qu’es-tu devenu
(…)
Que lentement passent les heures Comme passe un enterrement
Tu pleureras l'heure où tu pleures Qui passera trop vitement Comme passent toutes les heures "
Ceci n’est qu'un petit exemple des beautés contenues dans ce petit recueil.


Chaque fois que je lis un poème d'Apollinaire, je sens les larmes me venir aux yeux. Sa poésie m'extase, m'élève sur la platitude de ce monde, me fait sortir de ma peau, et mes larmes ne peuvent persister devant la grandeur et l'extrême sensibilité de ce poète, la fluidité de son style, la musicalité de ses vers et la densité de ses images.


Oui on sent tout, mais on ne peut tout dire, on ne peut tout traduire, et on se trouve embarrassé devant la densité de ses thèmes. Alcools fait preuve de cette richesse. Je l'ai choisi pour sujet de mémoire de licence, et j'ai choisi, plus précisément, les mythes dans ce recueil. J'ai constaté qu'Apollinaire arrive non seulement à user habilement des mythes, mais à les refaire et les défaire à son gré, et toutes les figures mythiques: grecques; romaines; judéo-chrétiennes et modernes se dégradent chez Apollinaire pour frapper dans la normalité, la banalité, perdent leurs aspects divins ou mystérieux dont il s'empare, et c'est lui qui devient dieu, et acquiert les puissances les plus incroyables. La seule exception à ce processus de dégradation est le phénix, cet oiseau mythique auquel le poète d'Alcools aime à s'identifier pour son caractère renouvelable. Apollinaire aspire par la déformation des mythes symboliser le bouleversement de la réalité existante pour créer une autre dans laquelle il ne serait plus bâtard et rejeté par les femmes. Mais la grande vérité qui lui échappe est que sa poésie a réussi à lui fonder non seulement un nom et une famille mais à l'élire père de la poésie. Et le voila enfin gagnant dans l'universalisme.


Le temps de sa lecture, ce recueil m'a rendue à moi-même. Parmi ses pages, s'étend l'empreinte de l'automne. Comme un bonheur en sursis, comme un cri envers tout ce qui s'éloigne et ne cesse de choir à nos yeux. J'aime Apollinaire, immodérément et pour bien des raisons. Ses rythmes parfois déstructurés, son lyrisme inépuisable ainsi que ses images mentales me collent à la peau. Et quoiqu'un peu sottement, il m'a semblé à travers Alcools l'avoir toujours connu.


"Il faut être toujours ivre", disait Baudelaire," de vin, de poésie, ou de vertu à votre guise, mais enivrez-vous!"


Apollinaire a pris son confère et prédécesseur au pied de la lettre:" Alcools" par tous les moyens s'emploie à nous faire tourner la tête.


Entre le lyrisme romantique des "Rhénanes" - la partie la plus traditionnelle du recueil- des Poèmes résolument modernistes comme "Zone" ou mystérieux comme "La Chanson du Mal-Aimé", on ne peut pas dire qu'Il y ait une véritable unité dans ce très célèbre recueil, : le plus connu d'Apollinaire avec "Anagrammes".


On dit que, piqué au vif par la lecture, dans l'atelier des Delaunay , de Pâques à New York rédigé en une nuit par Cendrars, Apollinaire écrivit derechef "Zone", le plus moderne de ses Poèmes d'alors, le fit figurer en tête de son recueil comme un manifeste, et fit supprimer toute ponctuation aux Poèmes d'Alcools pour leur donner la liberté de lecture et l'autonomie musicale qui était dans l'air du temps...


"Pâques" et "Zone" se ressemblent: errance urbaine angoissée d'un poète à la recherche de lui-même, mais si Cendrars, l'athée, cherche une réponse à sa crise spirituelle, Apollinaire, croyant, n'éprouve pas le même vertige, et c'est son enfance et son passé qu'il recherche, lui, l'apatride, dans ce Paris moderne dominé fraîchement par la Tour Eiffel toute neuve..


Il n'y a donc pas plagiat, juste écho.. tout le reste du recueil est vraiment original et personnel...avec une petite préférence pour Rhénanes, où la tendresse du poète pour les légendes, les brumes et... les vins rhénans donnent une couleur nostalgique et grisante aux Poèmes.


Tension entre le moderne et l'ancien, peut-être. Est-ce ce qui touche dans Apollinaire ? Il y a de ça. Il y a d'abord les mots, répétés ou pierres précieuses déposées au coin d'un poème, d'une incantation magique, alchimie, chocs. Comme souvent, le commentaire sur la poésie est vain. Il suffirait de citer, de ne pas se creuser la tête, même si l'on ne voit pas tout, même si l'analyse en groupe des "Colchiques" a été un chouette moment. La poésie, celle d'Apollinaire, si simple si l'on veut bien ne pas tenter de l'intellectualiser, n'est rien d'autre, rien de plus et rien de moins, qu'un dépôt de formules, magiques ou triviales, dans notre esprit.


Lire la poésie comme on va à la pêche, tirer un mot, un vers, l'accrocher à notre âme, "soleil cou coupé", ou "Mon Automne éternelle ô ma saison mentale". Encore : "C'est la lune qui cuit comme un oeuf sur le plat", "Ecoutez mes chants d'universelle ivrognerie". La poésie d'Apollinaire est cocktail d'Alcools plus ou moins forts dont on se laisse imprégner à l'envie, un petit verre par ci, un petit verre par là, et mine de rien, on s'en soûle, on voit le monde autrement, on vit plus intensément. Fulgurance du regard du chat, croisé en titubant, au coeur de la nuit : "Je souhaite dans ma maison : / Une femme ayant sa raison, / Un chat passant parmi les livres, / Des amis en toute saison / Sans lesquels je ne peux pas vivre".


Boire sa vie comme une eau de vie, un poème d'Apollinaire en tête, la voix de Léo Ferré, le souvenir d'une Annie qui rendait fou, et se dire que la joie, jadis, et demain, et toujours, venait toujours après la peine et que sous les ponts de Paris, qui bêlent ce matin, coule la Seine, et nos amours, et que les femmes paissent parfois ce grand pré mal fleuri par l'automne que deviennent, fatalement, les poètes un brin trop sensibles. Ou trop simples.


Apollinaire est un grand poète qui peut vous aider à renouer avec le genre : le ton n'y est ni hautain ni déférent à son égard. Alcools est une œuvre qui s'ouvre au monde mais surtout à soi. Contrairement à ce que l'on croit, l'absence de ponctuation n'est pas une idée de l'auteur mais il a été le premier à l'appliquer et à faire entrer la poésie dans une nouvelle ère. Les sujets choisis ne sont pas alourdis par une syntaxe préconçue mais ils restent très emprunts de l'expérience personnelle de l'auteur. La liberté et la fluidité balancent avec un texte très souvent élégiaque et permettent une lecture facile et vivante.
Ni trop antique ni trop moderne, Alcools permet par son ambivalence d'être un plaidoyer pour le "c'était mieux avant mais on va faire autre chose". Les amateurs de linguistique s'amuseront à former plusieurs phrases pour trouver différents sens à une strophe ! Les néophytes en poésie pourront porter un œil neuf sur le côté archaïque qu'ils ont de leurs cours de français.
Vitam impendere Amori est la partie la plus belle du livre, à mes yeux.


J'avais gardé un très bon souvenir d'Apollinaire et il se confirme. Par contre, j'ai eu beaucoup de mal à m'y replonger, ne pas pratiquer régulièrement la versification c'est mauvais pour les affaires. Il n'empêche que cette deuxième lecture m'a permis de me poser des questions totalement différentes qu'à l'époque de ma 1èreL. L'usage d'octosyllabes et de décasyllabe m'a particulièrement bouleversé parce que j'étais restée à l'idée déca/octosyllabe = vers épiques. J'avais oublié que l'alexandrin était passé par là... Je me suis davantage intéressée à la signification formelle des poèmes qu'à leur contenu et c'est là, tout de même, qu'on voit la vraie beauté du texte et sa modernité. Enfin, lire Alcools avec le Bestiaire m'a permis de mieux comprendre l'importance du Christ Orphée dans ces poèmes.


Très peu de ponctuation,un vers libre mais aussi plus classique,des rimes pauvres,un style spécifique et original qui illustre la poésie moderne.


C'est l'ivresse qu'on recherche en dégustant ce recueil, la diversité de ses cépages... pardon, de ses Poèmes, tenant en quelques lignes ou sur une gande paraison, en vers libres ou en rimes, peu importe, ce qui compte c'est leur intensité aromatique,... leur musicalité, la force de leur attaque, on peut dévorer l'ensemble du recueil sans être jamais lâcher, ou le déguster à petites gorgées. Quand on met devant moi ce recueil de Poèmes, tout d'abord de ma truffe délicate je le flaire (voir profil), le feuillette doucement, je le lampe ; et dès lors je suis à mon affaire (voir Rostand). J'ai aussi eu la "chance" de ne jamais l'avoir étudier en classe, c'est peut-être pour ça que j'y reviens encore et encore...


Sur ce, portez vous bien. Lisez Apollinaire. Il le mérite. La lecture est la probité de l' Intelligence. Tcho. @ +.

ClementLeroy
8
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Créée

le 11 mai 2015

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San  Bardamu

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