C'était donc ça Haruki Murakami... Je suis un peu déçu. J'entendais ça et là : "l'auteur japonais le plus lu", "pressenti plusieurs fois pour le prix Nobel de littérature", "un grand maître du fantastique"... Je n'y prêtais pas attention, il y a tellement d'auteurs "indispensables". Et puis un ami lit ce livre ("je suis agréablement surpris" me dit-il au téléphone) et c'est l'occasion d'y goûter aussi, histoire de nourrir la conversation. D'autres amis l'ont déjà lu, "tu verras, c'est très adolescent", un autre : "je me souviens juste des passages sur l'autoroute" et enfin le classique "je ne sais pas trop quoi en penser". J'en parle à mon libraire. Il n'a pas lu non plus, depuis le temps... Il faudrait qu'il le lise... on fera un débriefing ?


Nous y voilà. Et bien, effectivement, le livre est parfait pour un jeune lycéen en vacance à l'île d'Oléron. Je suis certain qu'il m'aurait plu dans ces conditions, je me serai laissé happer par son atmosphère langoureuse et nimbée de mystère, ses saillies érotiques aussi bien que morbides... Pour résumer l'intrigue en une phrase, il s'agit d'un récit initiatique centré sur un ado fugueur de 15 ans nommé Kafka et confronté au mythe œdipien sous une forme fantastique, toujours un peu à la limite de la psychose. Se rajoute une poignée d'autres personnages et une galerie de figurants s'interrogeant tous en permanence sur la raison de leur existence, façon Beckett en moins convaincant. Peu à peu, les personnages ne font même plus semblants d'être consistants et divaguent sans fin dans des réflexions psychologistes et des synthèses de culture générale. C'est le côté le plus énervant de l'ouvrage, les innombrables références au cinéma français, à la littérature européenne et japonaise, à la musique américaine et à l'opéra ne sont pas du tout incorporées au récit. Elles jalonnent explicitement le texte et sont fournies avec des explications fastidieuses. On comprend bien que l'auteur est fasciné par le savoir accumulé et l'imaginaire collectif, mais il n'a pas vraiment la maestria d'Umberto Eco ou de Borges pour construire une fiction autour. Voici un échantillon de la logorrhée que nous inflige régulièrement les personnages :



"Mais je n'ai pas de personnalité. Pas de sentiments non plus. Je peux prendre forme et parler comme en ce moment, mais je ne suis ni Dieu ni Bouddha, mon cœur diffère de celui des hommes car je n'éprouve nulle sensation.
- Qu'est ce que vous dites ?
- C'est une citation tirée des Contes de Pluie et de Lune de Ueda Akinari. Je parie que tu ne l'as jamais lu."



Ainsi, le récit est souvent alourdi d'érudition superficielle, de dialogues plats et de réflexions psychologiques atterrantes. Ces longueurs sont en partie atténuées par une bonne connaissance des ressorts de la littérature fantastique mais, hélas, la noce ne sera pas consommée et les si intrigants rapports de l'armée qui ponctuent le début du texte disparaissent bien vite. Bon, je l'admets, la lecture n'est pas si désagréable, le tout se lit en vitesse de croisière et apporte parfois sa petite nourriture, ses petites satisfactions... Le personnage du vieillard Nakata par exemple, dont nous suivons la trajectoire en contrepoint du jeune adolescent fugueur, donne parfois une tonalité agréable de comédie dramatique.


Honnêtement, je ne sais pas si je lirais un autre livre d'Haruki Murkami. J'ai vu que notre ami avait écrit une enquête sur la secte Aum, alors peut-être que j'y reviendrais. Dans tout les cas, je ne recommande pas vraiment celui-ci et, dans la même veine, je conseillerais plutôt Les bébés de la consigne automatique de Ryu Murakami (eh oui, un autre Murakami), dans un style beaucoup plus sombre mais toujours sur le mode du récit initiatique d'adolescents à la recherche de leurs origines. Je préfère que le baroque soit assumé.

InDaNostromo
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le 23 juin 2019

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