Confiture indigeste sauvée par quelques moments de clarté

A l'époque où Louis Aragon écrit le paysan de Paris, il est en pleine dissidence avec les Surréalistes. Quelques allusions de ce livre étrangement caméléon et fourre-tout (donc pas maîtrisé) montre que le poète écrivain a soupé des postures d'André Breton, de Noll ou de Philippe Soupault et recherche donc un nouveau positionnement d'écriture. Le découpage en trois chapitres indistincts ( Le passage de l'Opéra, le sentiment de la nature aux Buttes-Chaumont et le Songe du Paysan) laisse place à des divagations qui sans contexte n'ont pas vraiment de sens. Voilà donc ce qui fait du Paysan de Paris une confiture indigeste car Aragon n'est pas vraiment bien dans sa vie d'homme et d'artiste et le lecteur le ressent. Cependant, le livre est sauvé par quelques moments de clarté comme dans le dernier chapitre où l'écrivain/poète établit qu'il commence à être heureux avec quelques femmes qui passent dans sa vie. Elsa Triolet n'est pas encore mentionnée mais on n'imagine que ce songeur a déjà fait du chemin,amoureusement parlant.
Je voulais revenir sur ce qui m'a dérouté le plus à savoir l'absorption de détails surtout dans la première partie dédié au Passage de l'Opéra. Aragon y consigne des observations sur les moeurs des commerçants, les trafics immobiliers et les pages sont parfois émaillées de dessins. Si tout cet ensemble était animé de sens, de cohérence, le lecteur y trouverait un intérêt alors qu'il a l'impression de lire un récit en lecture automatique où toutes les idées s'enchaînent et sont vaines. Même si Aragon paraît parfois philosophe,habile observateur des choses et de ses contemporains, esthète, ses ruptures de tons bordéliques sont répétitives et assommantes. Vu la réaction d'Aragon par la suite en termes de production littéraire formidable, je pense qu'il a compris qu'il fallait qu'il dissocie un peu plus l'homme du poète,la philosophie de l'anecdotique pour arriver à une clarté digne de ce nom. Pas fâché d'avoir lu Le Paysan de Paris, mais conscient que je dois me tourner à présent vers un Aragon qui a gagné en bouteille et en inspiration soit quelques dizaines d'années plus tard.

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le 5 mars 2016

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