« Toute science, même la science divine, est un sublime roman policier. Si ce n’est qu’il est construit pour découvrir non pas pourquoi un homme est mort, mais pourquoi, secret bien plus obscur, il est vivant. » G.K. Chesterton


A une époque de spécialisation extrême des savoirs scientifiques, la démarche de Jean Staune est l’occasion de prendre un peu de recul pour embrasser de manière globale ce que les sciences nous révèlent sur le monde, l’homme, l’univers ou la conscience. L’occasion de s’émerveiller, de s'interroger, mais aussi de découvrir les épopées menant aux grandes découvertes scientifiques. Ce livre est le résultat d'un travail de plus de 20 ans, l'aboutissement de lectures et de rencontres en tout genre amenant l'auteur à côtoyer pléthore de biologistes, neurologues, physiciens et mathématiciens.


Voyons donc comment est structuré l'ouvrage :



  • Qu’est-ce que le réel ? Un voyage au cœur de la matière et de cette discipline étonnante qu’est la physique quantique.

  • D’où venons-nous, où allons-nous ? L’astrophysique est le sujet de ce chapitre.

  • Sommes-nous ici par hasard ? Une exploration des grandes controverses liées à la théorie de l’évolution.

  • Qu’est-ce que l’homme ? Une interrogation fondamentale sur les mystères du cerveau et de la conscience.


Cette critique est l’occasion de vous présenter rapidement les conclusions (partielles) à tirer de ces différentes disciplines. Je me limiterai à quelques "point clés", libre à vous d’approfondir ensuite une des thématiques abordées. Je finirai chaque partie par un "Qu’est-ce que ça change ?" non exhaustif, bien entendu.



I. Qu'est-ce que le réel ?



« Le matérialisme a prétendu se substituer aux religions, mais aujourd'hui la matière est devenue aussi mystérieuse que les dieux qu'elle devait remplacer »


Le principe d’incertitude d’Heisenberg nous enseigne qu’une incertitude fondamentale existe dans l’univers physique au niveau des particules élémentaires. Le déterminisme n’est pas universel.


L’expérience de fentes de Young nous montre que les fondements de la matière ne sont pas des objets matériels.


Nos concepts traditionnels concernant le temps, l’espace, les objets, les trajectoires, la causalité ne s’appliquent plus au niveau microphysique.


Le monde qui nous entoure, celui des phénomènes, ne peut être décrit sans tenir compte de la façon dont nous le mesurons. On dit qu’il a une "objectivité faible".


Qu’est-ce que ça change ?



  • La physique quantique est venue ébranler la vision "matérialiste" classique qui dominait depuis le XIXe siècle. La réalité véritable ne correspond pas à ce que l’on peut voir, mesurer, toucher.

  • Cette réalité est en grande partie "voilée". Il semble bien que cette réalité indépendante ne soit pas immergée dans l’espace-temps : l’auteur parle d’un "réalisme non physique".

  • Par son indéterminisme la physique quantique rend à nouveau pensable la notion philosophique de "libre arbitre".



II. D’où venons-nous ? Où allons-nous ?



« Si vous voulez faire une tarte aux pommes à partir de rien il vous faudra d’abord créer l’univers »


Tout l’univers que nous pouvons observer vient d’un point très petit, très dense et très chaud qui a "explosé" il y a près de 14 milliards d’années. Le big bang n'a pas eu lieu à un endroit ou un moment précis : l’espace et le temps se sont développés avec l’explosion même.


Les constantes fondamentales et les conditions initiales de notre univers ont des valeurs très particulières. Si on les modifie un tant soit peu, la complexité ne pourrait plus se développer et l’univers serait stérile.


La nature de 96% de la masse et de l’énergie qui composent l’univers nous est inconnue (matière noire et énergie noire).


Qu’est-ce que ça change ?



  • L’existence de ce "réglage fin" des constantes (ce qu’on nomme aussi le "principe anthropique") a réintroduit la question de l’existence d’un créateur (quel qu’il soit) dans les débats entre savants et plus seulement dans les débats entre théologiens et philosophes.

  • L’existence d’un principe créateur serait particulièrement plausible s’il n’existait qu’un seul univers, tandis que l’hypothèse selon laquelle nous sommes là par hasard serait la plus probable s’il existait une infinité d’univers ayant chacun des caractéristiques différentes.

  • Que le temps et l‘espace puissent hypothétiquement ne pas être éternels nous amène à bouleverser nos conceptions les concernant, voire à concevoir un niveau d’existence sans temps ni espace.



III. Sommes-nous ici par hasard ?



« Beaucoup de nos scientifiques s'imaginent qu'en jetant comme dés de la matière pendant quinze milliards d'années, on obtiendrait un jour le général de Gaulle ou Charlie Chaplin. Pour ce qui est de la sélection naturelle, quoi de plus adapté à un univers minéral qu'un caillou ? Quoi de mieux adapté à un univers végétal que la plante ? »


Aujourd’hui, la majorité des biologistes adhèrent à la théorie darwinienne selon laquelle l’action de la sélection naturelle sur les produits de mutations dues au hasard suffit pour expliquer l’évolution au cours des temps géologiques.


Mais toute une série de faits semble montrer que si l’action de la sélection naturelle parait incontestable, elle n’a pas la puissance nécessaire pour que des mécanismes darwiniens puissent expliquer l’évolution de façon globale (si ça vous intéresse cliquez ici )


Toute une série de faits provenant aussi bien de l’embryologie que de la paléontologie indique que l’évolution est canalisée vers certaines directions.


De nombreuses raisons amènent à penser que l’évolution n’est pas un long fleuve tranquille, que des sauts se produisent, que l’évolution saute parfois d’un type à un autre sans intermédiaire.


Qu’est-ce que ça change ?



  • Il semble que certains de ces sauts soient extrêmement peu probables si l’on ne fait pas appel à l’existence de plans d’organisation fondamentaux, à des formes archétypales qui seraient inscrites dans les lois de la nature.

  • Les processus darwiniens, s’ils expliquent parfaitement la "microévolution" ne sont pas de nature à expliquer la "macroévolution" (le passage d’un "type" à l’autre).

  • Il semble qu’un nouveau paradigme soit nécessaire pour comprendre l’évolution : les éléments que nous possédons déjà conduisent à penser que ce nouveau paradigme laissera moins de place que le darwinisme à la contingence, que nous ne sommes pas apparus complètement par hasard.



IV. Qui sommes-nous ?



« Si mes processus mentaux sont intégralement déterminés par le déplacement aléatoire des atomes dans mon cerveau, je n’ai aucune raison de supposer que mes convictions sont vraies… et, partant, je n’ai aucune raison de supposer que mon cerveau se compose d’atomes »


Partant d’observations montrant que des lésions cérébrales peuvent modifier la personnalité et le comportement d’un être humain, la plupart des spécialistes du cerveau pensent que la conscience est produite par l’activité neuronale.


Certaines expériences semblent réfuter la correspondance exacte entre les phénomènes neuronaux et les phénomènes mentaux.


D’autres expériences indiquent que le temps de la conscience ne s’identifie pas au temps des neurones, voire que la conscience peut "jouer" avec le temps.


Il existe de nombreuses théories de la conscience, certaines très réductionnistes, d’autres fondées sur la notion d’émergence, mais aucune ne semble en mesure d’apporter une réponse satisfaisante à ces problèmes et aucune ne s’impose actuellement, même à titre d’hypothèse.


On ne sait pas vraiment comment fonctionne la mémoire, le cerveau ne semble pas présenter de "support de stockage matériel" à la manière d’un disque dur. Où et comment sont stockés les souvenirs ?


Qu’est-ce que ça change ?



  • Des problèmes fondamentaux semblent insurmontables : comment expliquer le fossé qui sépare les phénomènes physiques qui caractérisent l’activité neuronale des sensations subjectives que nous éprouvons ? En gros, comment une impulsion électrique le long d’un neurone peut-il engendrer, par exemple, la notion subjective du rouge ou d’une mélodie ?

  • Parmi les mathématiciens, Kurt Gödel a démontré, grâce à son théorème d’incomplétude de la logique, que nous pouvions percevoir la vérité de certaines propositions sans que celles-ci soient démontrables, ce qui suggère une forme de communication privilégiée du cerveau humain avec un "monde" des mathématiques.

  • Tout cela conduit à penser que l’esprit qui nous anime n’est pas uniquement un produit de l’activité neuronale, même s’il ne peut s’exprimer sans l’aide de celle-ci. Le dualisme redevient une hypothèse acceptable.

  • De manière analogique, voici donc la grande question : le cerveau fonctionne-t-il plutôt un "ipod", les neurones produisant la totalité des processus mentaux ; ou au contraire comme une "radio", les neurones n’étant que les récepteurs d’une activité mentale en partie non matérielle ?


Tout au long de cet ouvrage Jean Staune nous invite donc à faire dialoguer sciences et philosophie pour nous interroger sur la question du sens de notre existence. Or il s'avère que l'individu moyen, dans son imaginaire quotidien, vit encore selon les paradigmes dépassés de la science du XIXe siècle. C’est toute une conception philosophique de la réalité à refonder. En physique classique Einstein a remplacé Newton. En physique quantique Heisenberg est venu détrôner Laplace. Pour les mathématiques c’est Gödel qui eut raison d’Hilbert. En neurologie "l’homme neuronal" de Changeux est en compétition avec de nouvelles conceptions moins réductionnistes. Quant à la théorie de l’évolution de nouveaux paradigmes pourraient bien voir le jour au XXIe siècle grâce aux travaux de Denton ou Conway-Morris.


Résumons nous :



  • D’où provient l’Univers issu du big bang ?

  • Quelle est la nature des fondements de la réalité physique ?

  • Quelle est la nature de la conscience de l'homme ?

  • Qu’est-ce qui peut canaliser l’évolution de la vie ?

  • D’où provient la déraisonnable efficacité des mathématiques ?


Et si ces cinq grands mystères n’en faisaient qu’un ?

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le 28 août 2021

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P. b.

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